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Le combat entre le bien et le mal

Le rayonnement de l’épopée de Jeanne d’Arc tient moins à l’éclat de ses épisodes guerriers qu’à la dramaturgie du procès de Rouen et au bûcher qui en marqua l’aboutissement.

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Le combat entre le bien et le mal

À Rouen en effet Jeanne révéla au monde une personnalité singulière. À la lumière de l’innocence confrontée aux prétentions et aux outrages de l’écheveau institutionnel apparut un être empreint de pureté et de fermeté dont les paroles témoignèrent d’un mouvement intérieur, d’un élan spirituel ayant présidé à son action dans le monde.

Ce paradoxe nous place devant une histoire où le croisement du temporel et de l’expérience personnelle de Dieu confère à la mission de Jeanne d’Arc une portée inédite. Toute approche de l’épopée johannique intéressée seulement par l’action extérieure et ses corollaires psychologiques ou romanesques éloigne donc du sujet central et aboutit à une image déformée, à une sorte de réductionisme. Bien plus qu’un épisode aventureux ou insolite de la guerre de Cent Ans, cette histoire fut avant tout un drame mystique où chacun des protagonistes tint le rôle qu’il s’assigna lui-même pour l’éternité dans le combat entre le bien et le mal, quand se fit entendre le message de Jeanne.

Laissons les morts engloutir les morts s’inscrit dans cette perspective. Construit autour des tensions survenues au cours du procès de Jeanne, le film de Paul-Anthony Mille restitue le sens d’une histoire à la dimension christique. Emporté dans une spirale intérieure qu’il n’avait pas anticipée, l’évêque de Beauvais Cauchon, érigé en juge, fut lui aussi mêlé au processus de cette passion que Jeanne vécut durant sa captivité. Tout le film procède, dès lors, d’un parcours de conversion, d’un cheminement au cours duquel Jeanne n’est jamais montrée mais dont elle demeure le pôle rayonnant, le reflet divin.

Ainsi sont signifiées la réalité profonde de l’épopée et sa fonction théophanique dans l’histoire. Pris de tourment, Cauchon est appelé à choisir : sauver Jeanne dont il entrevoit l’action sanctificatrice et se sacrifier lui-même, les ennemis de Jeanne ne pouvant accepter que la lumière qui émane d’elle se diffuse, ou bien la condamner et obéir à ceux qui veulent étouffer la voix de Dieu. Le regard porté sur cette aventure à travers la conscience de Cauchon – outre la pertinence de cette démarche d’un point de vue historique – permet de comprendre la vocation de Jeanne : la portée de son expérience et celle de sa mission tout entière ne s’arrêtent pas à sa personne mais renvoient à une révélation universelle. Sa venue désigne la destinée d’une humanité à la croisée des chemins, appelée à choisir, à l’image de la Genèse, entre la soumission au pouvoir de l’homme et le respect de l’œuvre du créateur.

Un double mouvement mystique de mort et de résurrection

Deux voies alternent alors et rythment le film. Confronté aux avertissements et aux menaces de ses acolytes de Rouen, Cauchon résiste d’abord puis cède aux arguties de la raison codificatrice, se pensant protégé par elles de la damnation. Parallèlement, un homme de guerre échappé de la fange et de la mort accomplit une ascension libératrice. Cette pérégrination muée en chemin de croix évoque la voie ouverte par Jeanne. Réelle ou allégorique, elle transfigure la condition humaine et les éléments eux-mêmes. Le sacrifice de Jeanne voulu par Cauchon trouve son sens dans la quête divinisatrice de ce compagnon d’armes. La mission rédemptrice de Jeanne et sa glorification opèrent à travers cette articulation, dans ce double mouvement mystique de mort et de résurrection.

Laissons les morts engloutir les morts transporte l’âme du spectateur dans cette sphère intérieure où le drame se déploie non pas selon une narration aride, théorique ou didactique, mais dans un univers visuel et incarné où les clairs-obscurs façonnent un monde chaotique et crépusculaire, habité pourtant par une présence divine silencieuse et annonciatrice d’une aube prochaine.

Par son ton grave, son jeu retenu, ses dialogues et son scénario serrés, sa beauté formelle et sa profondeur, le film de Paul-Anthony Mille renverse l’approche cinématographique ordinaire de l’histoire. L’intention n’y est pas de figurer un épisode marquant mais d’atteindre sa dynamique propre. Dès lors s’effacent le pittoresque, la volonté d’illustrer en instrumentalisant la matière disponible. Le film s’intéresse à l’épopée johannique pour elle-même, pour la parole qu’elle incarne. Il faut y voir un véritable événement, tant l’intellection française et la production cinématographique qui s’y attache, si éloignées de toute ontologie, ont renoncé à s’extraire de leur engoncement. Pour la première fois, outrepassant l’interdit de la visée spirituelle, un long métrage bouleverse le discours sur Jeanne d’Arc et, par le biais du cinéma, ouvre une brèche dans la pénombre de la conscience collective.

Laissons les morts engloutir les morts, un film de Paul-Anthony Mille. Sortie le 4 mai.

Hugues Moreau est l’auteur de Dans le jardin de mon père. Jeanne d’Arc mystique et théologienne (2021).

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