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L’Assemblée Nationale, scénographie, décors et costumes

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L’Assemblée Nationale, scénographie, décors et costumes

Il faut se précipiter sur ce recueil de propos félino-politiques, c’est un morceau de choix inattendu, fin, aérien ; les anecdotes que nous conte ce chat perché sont aussi indiscrètes que véridiques. Le vécu du matou curieux est le fil conducteur à partir duquel se croisent et recroisent les petitesses et, trop rarement, les grandeurs des élus de la Nation. C’est surtout le cadre d’une réflexion sur l’esprit public, sur le rôle d’une élite qui s’égare et se perd à la croisée des intérêts personnels et des enjeux de la fonction.

Le nombre des pages cornées compulsivement au fil de la lecture est important, reflet d’un intérêt renouvelé pour les situations cocasses qui dépassent l’imagination la plus créative, et des réflexions de l’animal devant les conséquences d’une légèreté qui ne surprendra que les naïfs. Ce chat tombé du ciel nous gratifie de pensées politiquement incorrectes : trop de bon sens, trop de lucidité.

Le chat érudit nous entraîne vers des analogies impertinentes qui font mouche. Véritable Cité Interdite, l’Assemblée, lieu situé « en dehors du monde », avec ses hiérarchies pointilleuses, est aussi un vivier, ou plutôt un bocal où tournent gros et petits poissons parmi lesquels il n’est pas aisé de pêcher les pièces « de qualité supérieure ». Un peu comme dans le film absurde des Monty Pythons, dans lequel la vie et la compréhension du monde s’arrêtent aux limites de l’aquarium. Il est aussi permis, dans la gamme des images, de préférer celles des députés-totems, renards, lièvres, paons, goélands et autres serpents. Reflétant des comportements et des pratiques que tout lecteur averti de La Fontaine imaginera aisément…

Plus profondément, notre Raminagrobis brode sur l’inflation et la logorrhée législatives, la répartition des rôles convenus, la manie commémorative et la perte de sens commun qui vont de pair avec la perte du pouvoir réel, remonté un peu plus au nord dans la capitale d’un petit État improbable et implosif d’où la Loi est désormais dictée aux peuples européens. Gilles Valette, fonctionnaire détaché à l’Assemblée depuis plusieurs décennies, est bien placé pour recueillir les réflexions de l’animal. Écoutons-le discourir :

À voir voter toujours plus de textes, j’ai parfois eu aussi l’étrange sensation qu’ils (les députés) étaient inlassablement et perpétuellement en train d’imaginer et d’inventer la dernière législation manquante, comme si votre pays venait d’être fondé ou créé… la semaine dernière. Or, n’oubliez jamais que le monde prend la forme de vos mots… Ils veulent infatigablement définir la réalité afin de faire croire encore à leur existence.

Et, toujours perspicace : « Je me suis moi-même demandé si la répétition incessante, perpétuelle et permanente de textes mineurs, inutiles et parfois liberticides n’allait pas générer une armée de citoyens alzheimerisés. » Ce chat irrespectueux discerne donc bien le programme des chevaliers de la Table Rase, de l’amnésie, patiemment concocté dans ce palais de la république. Les citations d’Orwell résonnent, c’est l’avènement des « mots abusifs et voluptueux » qui effacent les mots « subversifs et dangereux » , et du même coup « la souffrance, la difficulté, le sens de l’effort et du sacrifice » … faisant ainsi disparaître « ce qui pourrait définir et établir la contestation, le refus et la révolte. »

La leçon de vocabulaire qui s’ensuit est à la fois réjouissante et harassante. Les anecdotes fourmillent, les coulisses s’animent. Images de personnages tantôt dérisoires, tantôt respectables, le plus souvent inattendus. Ne manquez pas cet essai qui, en ces temps de Gilets jaunes, pose de bonnes questions et fait réfléchir sans jamais ennuyer.

Par Jean Viansson Ponté

 

Gilles Valette, Le Chat perché chez les députés (couloirs, coulisses et alcôves racontées par le chat de l’Assemblée Nationale), préface de Jean-Charles Lonné, Éditions La Bruyère, 300 p., 20 €.

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