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La vérité de Tarass Boulba

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La vérité de Tarass Boulba

Michel Zink est ce nouvel immortel élu au siège de René Girard. Son œuvre de médiéviste est plus que remarquable, son discours de réception est un modèle d’intelligence et d’esprit – et ses souvenirs de lecture d’enfance sont délicieux. Non pas qu’il ait lu des livres remarquables mais il tire de ses manuels de classe et des bibliothèques familiales qu’il fréquenta des enseignements originaux, des vérités profondes, une morale du lecteur, pour ainsi dire, bref un essai tout en finesse où, entre Serge Dalens (dont il n’exagère pas les mérites), la Comtesse de Ségur (dont il célèbre les qualités) et Henri Pourrat (à qui il rend hommage), s’élabore une théorie de la lecture enfantine, de ses intuitions, de sa sensibilité : « j’étais déjà adolescent, presqu’adulte moi-même, avec une sensibilité chaque jour plus épaisse à mesure que croissaient mes prétentions littéraires. » Il avoue avoir longtemps été un « lecteur terrorisé de Tarass Boulba » qui, le temps passant et la science s’accumulant, se rend compte qu’il était ému par ce père qui assiste impuissant à la torture de son fils parce qu’en fait il est était « l’image de Dieu, témoin passif de la Passion de son Fils ». On ne saurait dire exactement ce que ce petit livre a d’enchantant : la satisfaction de voir un bel esprit disserter sur les illustrations de Pécoud pour la Bibliothèque rose, son jugement définitif sur Bettelheim (« La Psychanalyse des contes de fées, qui est un des livres les plus stupides qu’il m’ait jamais été donné de lire »), l’ironie constante vis-à-vis de son immense savoir (« le rondeau de Charles d’Orléans, “Hiver, vous n’êtes qu’un vilain”, dont je suis aujourd’hui fort capable de plomber la légèreté des plus lourdes explications ») ou l’aveu cruel, et que l’on partage forcément, de cette intensité qui baisse comme on grandit et qui fait « que l’enfant vive par anticipation ce qu’il ne peut encore connaître, qu’il jouisse de ce qu’il ignore et qu’il perdra dès qu’il l’aura connu. »

Michel Zink, Seuls les enfants savent lire. Les Belles Lettres, 2019, 160 p., 17,50 €.

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