Culture. Les objets africains, œuvre d’art ou documents ethnographiques, peuvent-ils être accueillis dans les musées africains ? Il n’est pas certain que leur conservation soit assurée. Au-delà d’un geste politique douteux, Emmanuel Macron mesure-t-il le risque scientifique qu’il fait courir à ces œuvres ?
Le 28 novembre 2017, le Président de la République prononçait un discours à l’Université de Ouagadougou dans lequel il exprimait le vœu que « d’ici cinq ans les conditions soient réunies pour des restitutions temporaires ou définitives du patrimoine africain en Afrique ».
Historique, cette phrase entendait marquer une rupture définitive avec la Françafrique de ses prédécesseurs et notamment le discours de Dakar prononcé par Nicolas Sarkozy, le 26 juillet 2007. On se souvient tous du tollé que provoqua sa phrase « l’homme africain n’est pas assez entré dans l’Histoire. » À rebours de Jacques Chirac qui ouvrit le musée du Quai Branly, Emmanuel Macron a commandé un rapport, remis le 23 novembre. Signé Bénédicte Savoy et Felwine Sarr, le « Rapport sur la restitution du patrimoine culturel africain. Vers une nouvelle éthique relationnelle » a fait l’effet d’une bombe dans le milieu des conservateurs de musées. Sitôt après sa réception, Emmanuel Macron a décidé de restituer sans tarder 26 œuvres réclamées par les autorités du Bénin. Il a choisi un corpus d’œuvres hautement symbolique, notamment une sculpture de l’Homme-requin, une représentation du roi Béhanzin, le dernier roi du Dahomey qui s’illustra dans des guerres de résistance à l’occupation européenne. L’œuvre fut emportée par les militaires lors de l’incendie du Palais et envoyée au musée d’ethnographie du Trocadéro par le général Dodds.
Mais ce pillage militaire n’est pas représentatif de la façon dont toutes les œuvres ont été acquises durant les XIXe-XXe siècles. Si on peut considérer que l’Afrique a été spoliée de son patrimoine, il serait faux de se figurer une période seulement dominée par des militaires extorquant de force des sculptures à des populations massacrées. Plus nuancée, Silvie Memel Kassi, à la tête du Musée des Civilisations de Côte d’Ivoire d’Abidjan parle d’œuvres acquises ou soustraites. Dans une interview donnée au Magazine Culture de la chaîne ivoirienne RTI 1, elle précise qu’il y eut certes des militaires qui participèrent à ces collectes mais aussi des marchands, des missionnaires ou des explorateurs. La relation entre le colonisateur et le colonisé était inégale mais de là à voir toutes les œuvres africaines conservées en France comme le résultat d’une opération sanglante, il y a un monde.
Le choix du Bénin est significatif. En première ligne des restitutions se trouve une franco-béninoise, Marie-Cécile Zinsou, créatrice de la Fondation Zinsou pour l’art contemporain africain, au Bénin et fille de Lionel Zinsou, collègue puis soutien d’Emmanuel Macron. Pour recevoir ces sculptures béninoises, le président béninois s’est engagé à rénover les collections nationales qui doivent être présentées dans les ruines restaurées des palais royaux de Béhanzin, un site de 47 hectares inscrit sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco depuis décembre 1985. Les sculptures iront en attendant à la Fondation Zinsou.
Le musée occidental est-il africain ?
Il est significatif que l’histoire des restitutions au Bénin puisse avoir pour cadre une fondation privée et que le musée soit encore à aménager. Significatif car, dans nombre d’autres cas, les occidentaux n’ont pas fait que piller pour emporter, ils ont également fondé des musées sur place, des musées directement hérités de la période coloniale et qui abritent des œuvres qui ne partirent jamais en France pour rejoindre le Trocadéro mais restèrent sur place et furent ensuite transmises aux États sitôt l’indépendance acquise. Brosser à grands traits l’histoire des musées africains permettra sans doute d’éclairer une inquiétude quant à la restitution des objets : les lieux qu’ils rejoindront.
Cette histoire est d’autant plus importante à avoir en tête que le musée est une institution qui fut longtemps problématique en Afrique, à tel point qu’en 1991 Alpha Oumar Konaré, le président du Conseil International des Musées prononçait cette phrase : « Il est temps, grand temps, ce nous semble, de procéder à une totale remise en cause, il faut tuer, je dis bien tuer, le modèle occidental de musée en Afrique pour que s’épanouissent de nouveaux modes de conservation et de promotion du patrimoine. » La question a de quoi surprendre, on pourrait la poser autrement : le modèle occidental du musée est-il viable en Afrique ? Cette problématique est grave car elle a longtemps opposé deux paradigmes : d’un côté l’institution occidentale du musée pourrait être adaptée à la société africaine, de l’autre ce modèle étranger serait inconciliable avec les cultures africaines.
Les toutes premières institutions muséales ne découlaient nullement d’une politique émanant directement de la métropole. En 1863, Louis Faidherbe fonda un musée à Saint-Louis. Ce militaire français engagé dans les guerres coloniales créa une institution qui se focalisa sur la taxinomie des ressources ; thématique utile pour documenter l’exploration, la découverte, la classification et la mise en valeur des ressources naturelles.
Au XIXe siècle, plusieurs modes d’exploration cohabitaient : ceux commanditées par les sociétés de géographie et la conquête coloniale en elle-même. Il pouvait s’agir de livrer des observations sur la géographie du pays afin d’ouvrir des voies commerciales ou d’apporter une connaissance sur des régions jusque-là ignorées des Occidentaux. Les sociétés de géographie avaient en effet déjà compris l’impact de la révolution industrielle même au sein de zones reculées et pressenti la fragilité de l’existence des populations avec lesquelles les voyageurs avaient pris contact. La conscience du caractère irréparable de la colonisation créait une responsabilité patrimoniale. Il fallait documenter ce que, en découvrant, on contribuait à détruire.
L’Homme-requin est aujourd’hui une pièce maîtresse du musée du quai Branly à Paris. La statue est réclamée par le Bénin. Cette icône guerrière représente le dernier roi du Dahomey, le roi Béhanzin. Aujourd’hui héros national, il incarne la résistance à l’occupation européenne.
Restituer ou faire circuler ?
À partir des années 1930, les musées africains entrent dans une seconde phase marquée par les idéaux civilisateurs. La décennie correspond à un essor des missions ethnographiques et à l’ouverture de pôles de recherche. L’Institut Français d’Afrique Noire (IFAN) est ainsi créé en 1936. Il servait de base pour coordonner les recherches menées dans les pays sous administration française. Rapidement, des antennes se développèrent. Presque tous les musées de cette période furent créés et gérés par l’IFAN. Il en fut ainsi, dans les années 1950, du Musée historique d’Abomey au Bénin et du Musée ethnographique d’Abidjan en Côte d’Ivoire.
Après la seconde guerre mondiale les puissances coloniales adaptèrent leurs politiques et cette situation se concrétisa notamment par une augmentation décisive du nombre de musées. Lors des indépendances, il en existait une centaine. Ils furent adaptés par les dirigeants politiques afin qu’il puisse servir leurs propos. La transition ne fut pas pour autant brutale car, en plus de l’institution, la question se posait de savoir qui allait assurer la bonne marche des musées. Ainsi, si l’IFAN est démantelé afin que les centres de recherches soient requalifiés en musées nationaux, le personnel est bien souvent reconduit. Les chercheurs qui avaient tissé des liens avec le pays restèrent sur place et continuèrent leur travail en adaptant toutefois certaines de leurs missions aux volontés politiques nouvelles. Silvie Memel Kassi est ainsi à la tête d’un musée fondé en 1942 par la France et qui fut longtemps déserté par les 4 millions d’habitants d’Abidjan. Elle travaille aujourd’hui à faire accepter cette institution à une population qui la boude.
Les restitutions sont surtout une initiative française, ou émanant de franco-africains ou d’intellectuels africains familiers de nos scènes intellectuelles. Si les conservateurs des musées africains émettent le souhait de voir leurs collections s’accroître, ils sont d’habitude mesurés dans leurs relations. Samuel Sidibé, qui prenait sa retraite à la fin de l’année dernière et qui fut longtemps directeur du Musée national du Mali, musée hérité de la colonisation, déclarait en décembre 2017 dans Le Monde : « J’adore l’idée de la restitution, mais j’aime aussi les œuvres, dit-il. La question de leur conservation me semble essentielle. Quand un musée exige le retour d’œuvres qui ne seront pas bien préservées, pas en sécurité, il ne faut pas le faire. ».
C’est qu’il existe mille modalités. Certains musées s’ouvrent en Afrique, comme le Musée des civilisations noires à Dakar. D’autres attendent d’être mis aux normes. Prendre en compte toute la complexité de ces situations semble être la meilleure réponse à la réappropriation par les Africains de leur patrimoine. La France est engagée depuis longtemps dans le soutien aux musées africains, elle en fut même à l’origine et ses chercheurs ont rarement déserté l’Afrique. Par l’intermédiaire du Conseil International des Musées, les professionnels du continent accèdent à une somme théorique utile à leur travail. En dehors des œuvres souillées par le sang de la conquête, d’autres œuvres sont présentes dans nos collections, avec des origines moins dramatiques. Rendre les plus symboliques et prôner une large circulation des autres plutôt que des restitutions importantes semble être la solution la plus raisonnable. D’autant plus raisonnable qu’il y a péril en la demeure. Remettre en question l’inaliénabilité des collections françaises, comme le préconisent les auteurs du rapport, est dangereux. Si des œuvres se trouvent illégalement en France, elles doivent être rendues. Mais il ne faut pas confondre la loi et la morale. On ne change pas les lois sans réfléchir aux conséquences, des conséquences qui débordent largement la question de la restitution à l’Afrique. Certes, les conditions des acquisitions étaient défavorables aux Africains mais il en va ainsi de la France de Louis XIV qui enrichissait les collections royales. Or, remettre en question la constitution de nos collections, c’est remettre en question l’existence même de nos musées.
Par Mélanie Brouart, historienne de l’art