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La dernière avant-garde, le Christ ou le néant

« Ce monde n’a plus aucune tenue. Il est temps de le faire convulser à nouveau. »

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La dernière avant-garde, le Christ ou le néant

Romaric Sangars n’est pas du genre à être vomi par son créateur, la tiédeur lui est étrangère. En lisant la dernière avant-garde, nous n’avons qu’une seule envie, nous précipiter, non pas vers le néant, mais dans le Christ, avec la folle espérance de ressusciter tout ce qui fait l’homme et la civilisation. Quelle joie de fréquenter un converti, elle nous remet dans la voie de la radicalité. Dans cet essai, Romaric se veut prophète. Il fait quelques allers-retours entre notre époque et celle qui pour lui est l’exemple d’une civilisation à son sommet, le début du XIIe siècle. Concernant notre époque, le constat est sans appel, la crise est totale parce qu’elle est métaphysique. Et l’auteur pose simplement la question : sommes-nous trop faibles pour être confrontés à une œuvre d’art ? Car c’est depuis l’art qu’il interroge l’homme et son monde. Pour lui, l’art est une question de vie et de mort. L’art est la clef de tout, le révélateur de la crise et le moyen de renouer avec le cosmos.

Pour mieux nous le faire comprendre, il nous plonge dans le sommet civilisationnel engendré par la mystique cistercienne. Saint Bernard de Clairvaux est à la base d’une révolution d’ordre métaphysique. Placer le Christ vrai homme et vrai Dieu au centre de la vie engendra une époque humano-divine. Un petit passage par Dante permet de préciser la pensée de l’époque : « L’humanisme met l’homme au centre de la création alors que Dante le met au centre du créateur. » Romaric Sangars y discerne la naissance d’un rapport unique entre l’homme, l’histoire et la raison. Voici le triple réacteur de la révélation chrétienne : l’homme devenu le siège de Dieu est une créature privilégiée ; la raison est la fille du logos divin ; l’histoire est l’épopée coordonnée à l’eschatologie. L’homme devient le média pour revenir à Dieu. Dans cette logique, l’homme est éminemment un être de symbole. « L’ordre symbolique implique une étrange et générale réversibilité. » souligne Romaric Sangars. En effet, dès lors que l’homme agit comme un prophète, aussi insignifiant soit-il dans les économies humaines, il engendre une modification même du cosmos, dans l’économie du salut, au-delà de toute logique statistique ou de performance.

Oser un art qui met en jeu le cosmos

Dès lors que le modèle est érigé, notre auteur peut s’amuser à entrer de plein fouet en confrontation avec notre époque. La doxa de son combat : « Contre la beauté cosmétique, divertissante ou confortable, contre son asservissement politico-scientifique, contre sa dégradation en rituel narcissique, il est temps de promouvoir une beauté offensive, dispendieuse, manifestant l’étreinte humano-divine par des éblouissements inédits. » Les ennemis sont qualifiés de nouveaux cathares ou nouveaux manichéens. Ces derniers agissent comme les nouveaux gardiens de la révolution dans sa phase actuelle, et Romaric Sangars déplore le peu d’originalité de ces derniers qui, à chaque époque, cherchent des boucs émissaires. Ce fut les juifs durant une époque, les bourgeois en URSS, aujourd’hui c’est l’homme blanc occidental. Triste époque woke qui donne « l’assurance aux imbéciles puis des alibis aux bourreaux. » Ces éveillées se contentent du rôle de gestionnaires d’un écosystème saturé dans la hantise de l’apocalypse, condamnés à déserter le réel et lancer des anathèmes en imposant à tous la tyrannie de leur subjectivité. C’est comme si il n’y avait plus rien à raconter, comme si nous étions sortis de notre propre histoire. L’élan prophétique est bien loin…

Pourtant, Romaric n’en démord pas, il y a une nécessité d’un souffle poétique dans l’art : « Sans arrière-fond prophétique, l’art, au lieu de poursuivre la Création, se contente de gloser. » L’objectif, vous l’aurez compris n’est pas de revenir à un art académique mais de chercher la nouvelle et véritable avant-garde. Il s’agit d’échapper à tous les pièges : « Le Dieu brûlant de folie avait été rhabillé par l’aile droite en notaire de l’ordre bourgeois, par l’aile gauche, en doux rêveur inoffensif. » Pour échapper au néant, il faut radicalement oser un art qui met en jeu le cosmos et dans une forme inédite, avec le pas de côté de l’homme d’aujourd’hui. « Le monde n’est plus qu’un stock de matières premières qu’on épuise ; l’Histoire, une dette monstrueuse contractée par les vainqueurs ; la vie personnelle, un capital à exploiter. » En refermant l’essai radical de l’écrivain prophète, nous avons l’impression d’avoir déjà amorcé une révolution métaphysique pour notre temps. Goûtons Bernard de Clairvaux : « L’homme traverse la vie en image, cherché par le Verbe. »

La dernière avant-garde, Le Christ ou le néant, essai de Romaric Sangars, Editions du Cerf, 164 pages, 18€

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