Octobre 1789, la famille royale quitte Versailles et s’installe aux Tuileries, à peine aménagées. Trois ans plus tard, l’Assemblée nationale « suspend » Louis XVI et, le 21 septembre 1792, la république est proclamée. Commencera alors le calvaire de la famille royale, qu’elle avait anticipée.
Les lettres de Marie-Antoinette à Fersen en témoignent, avec une vivacité et une franchise de ton qui étonnent. Elles sont là, devant nos yeux, soigneusement déchiffrées (Fersen avait conservé la table de chiffrement polyalphabétique qu’il utilisait avec la Reine : on la voit aussi) mais aussi élucidées, en quelque sorte, les scanners contemporains ayant su pénétrer en deçà des soigneuses ratures avec lesquelles Fersen croyait préserver le secret de sa correspondance.
Toute l’exposition des Archives, consacrée à la famille royale aux Tuileries, a un je-ne-sais-quoi de mélancolique, comme si la tragédie royale – et française – était éteinte, tamisée par ce qu’il en reste dans les archives, écho étouffé de l’intensité de ces mois. Un placard du gouverneur des Tuileries précise que « les Facteurs de la Poste » entreront « sans cartes » à l’Intérieur du Château. On voit à côté ces cartes, petits rectangles de papier, au nom de « Monsieur Le Clerc, cuisinier de Madame de Tourzel », dernière gouvernante des enfants de France, qui les accompagna dans leur fuite et au Temple. Deux cent vingt-huit serviteurs s’affairaient aux Tuilerie, deux cents fidèles venaient faire leur cour, et les députés marchaient dans les jardins. La Garde nationale parisienne patrouillait, comme le prouve les soixante planches gravées et coloriées des drapeaux des dix bataillons de chacune des six divisions. Le Plan du Jardin de Monseigneur Le Dauphin nous montre un espace assez vaste mais si réduit par rapport à Versailles – et surtout un espace où le Roi et sa famille sont, de fait, prisonniers.
Les commissaires de l’exposition (dont Jean-Christian Petitfils et Emmanuel de Waresquiel) exploitent au mieux les archives, curieux mélange où les décrets, les lois, les constitutions originales, côtoient ces cartes éphémères, le testament de Louis XVI, le Plan de de la Ville et des Faubourgs de Paris divisé en 48 sections, décrété par l’Assemblée nationale le 22 juin 1790 et sanctionné par le Roi, ou la Collection complète des portraits des députés à l’Assemblée nationale de 1789, qui s’ouvre sur un portrait de « Louis XVI, né à Versailles le 23 Aoust 1754, restaurateur de la liberté Françoise ». On voit les lettres que le Roi envoie aux députés, les mémoires qu’il rédige, s’alarmant de la constitution civile du clergé ou s’intéressant aux lois constitutionnelles (« Je veux la Constitution mais avec la Constitution, je veux l’ordre » – 13 juin 1792). La Constitution de 1791 est dans une belle reliure de maroquin vert et or, trois fleurs de lys entourant la devise LA LOI ET LE ROI.
Le Journal du thermomètre
Si la vie de la famille royale est présente, avec le « Journal du thermomètre » (on relevait la température de la chambre du roi matin et soir – mai 1792 fut frisquet), la Gazette des atours pour Madame Élisabeth (1792), cahier où sont collés les échantillons de tissu des dernières robes commandées pour la sœur du roi, ou un charmant portrait de Marie-Antoinette en tenue d’intérieur très simple, par Adolf Ulrik Wertmüller, l’exposition nous montre aussi l’extérieur : la grossièreté imbécile des patriotes, avec un exemplaire du Cri bougrement patriotique du Faubourg Saint-Antoine, supplément au Père Duchesne d’Hébert, qui fait songer à LFI (« Point d’argent, foutre ! Liberté ! Constitution ! et vive la Nation, mille tonnerres ! »), ou une carte de la Nouvelle Hollande (l’Australie), rapportée de l’expédition partie à la recherche de La Pérouse. Et tout se termine avec le dernier ordre donné par Louis XVI au colonel Dürler, commandant des gardes suisses : « Le Roi ordonne aux Suisses de déposer à l’instant leurs armes… »
Le 5 mai 1793, un exemplaire de la constitution de 1791 est fièrement pilonné par une masse appelée le « mouton national ». On voit un amas de feuillets écrasés. Pourquoi diable les archivistes conservent-ils les cartes destinées aux cuisiniers et les exemplaires obsolètes et dégradées des lois républicaines fondamentales ?… Il y a sans doute une leçon lente à distiller dans cet amour conservatoire qui amasse tout et confie à la postérité le soin de discerner l’admirable, le précieux, l’anecdotique et le symbolique. D’ailleurs, une fois qu’on est rentré dans l’Hôtel de Soubise, on peut aussi bien visiter les salles permanentes, avec l’édit de Nantes (1598), un hommage de Simon de Montfort à Philippe Auguste (1216) et la Constitution de la Ve République (1958), nettement moins décorative que tout le reste malgré la signature de René Coty.
Louis XVI, Marie-Antoinette & la Révolution. La famille royale aux Tuileries, 1789-1792. Paris, Archives nationales (Hôtel de Soubise), jusqu’au 6 novembre 2023.