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Jeanne et le Roi

Le mystère de Jeanne est tel qu’il aveugle autant qu’il éclaire. Il est christique. Sur sa personne un discernement s’opère.

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Jeanne et le Roi

Jeanne est-elle de nos jours vraiment célébrée pour ce qu’elle a fait, pour sa mission particulière en ce qu’elle a eu de singulier, de proprement personnel ? Pour ce qui la définit, elle, Jeanne ? Ce pour quoi « elle est née », ce pour quoi « elle fut envoyée », selon ses expressions, ce pour quoi elle est venue, elle s’est battue et fut brûlée ? Jeanne a beau dire et répéter quelle est sa mission, elle n’est pas entendue, pas écoutée, pas comprise.

La mission de Jeanne d’Arc

Au fond, ceux qui cernent le mieux « le problème » que pose Jeanne, ce sont ses adversaires, ceux qui s’instituent ses juges : il faut par nécessité impérieuse que son seul et vrai message soit anéanti, souillé juridiquement et canoniquement pour délégitimer l’œuvre qui s’ensuit et qui n’est rien d’autre que la légitimité royale restaurée. Au motif que Dieu n’intervient pas dans l’histoire et encore moins dans l’histoire politique !

Née en 1412 sur les marches de la Lorraine, cette fille simple et ordinaire se trouve investie dès l’âge de 13 ans d’une mission extraordinaire. Ses Voix lui parlent et la forment : saint Michel, sainte Catherine, sainte Marguerite la préparent. Elle sait la grande pitié qu’il y a au royaume de France. Le traité de Troyes est de 1420. Il y a une réaction française diffuse, une protestation qu’il convient parfaitement d’appeler nationale même si le mot n’est pas encore usité. Le Quadrilogue invectif d’Alain Chartier, le secrétaire de Charles VII, poète de la France éternelle, est de 1422. Jean Charlier, dit Gerson, chancelier de l’Université de Paris va, quant à lui, se retirer à Lyon quand la Sorbonne a pris définitivement le parti de la trahison.

Ordinaire extraordinaire

Or que disent ses Voix à Jeanne ? De délivrer le royaume de France, c’est la fin proposée ; d’aller trouver le Dauphin pour le mener sacrer à Reims, c’est le moyen. Rien n’est plus limpide. Simplement, il faut oser. Dès 1428, elle obéit à ses Voix. Elle a 16 ans. Elle affronte Robert de Baudricourt, capitaine royal de Vaucouleurs. Les altercations ont du bon. La réalité s’impose. Baudricourt est convaincu.

Elle part sans peur en toute petite compagnie. Le 6 mars 1429, elle arrive à Chinon. Elle va droit vers le Dauphin Charles qu’elle discerne et reconnaît. L’épisode est connu. Il a 26 ans, elle 17. Ce prince ordinaire, de tempérament inquiet et timide, a des entretiens particuliers avec cette fille, solide et ordinaire d’apparence, mais investie d’une mission extraordinaire ; elle lui révèle à lui et à lui seul son secret et lui dicte, de par Dieu, son devoir qui l’élèvera, lui si ordinaire, au niveau extraordinaire de sa légitimité française et royale : il est « l’héritier du vrai Sang de France » qui doit répondre à sa vocation, remplir sa fonction.

Il avait tout pour dire non. Les biographes cléricaux de Jeanne ont tendance à être sévères pour Charles VII, sans doute pour mieux ménager l’honneur ecclésiastique fortement compromis dans cette affaire. Alors, ils parlent des atermoiements du jeune prince ! Or, il est convaincu. Quel est l’homme d’État qui, dans l’histoire du monde, l’aurait été ? Elle lui parle de « mission », d’ « épreuve », de « signe ». Elle passe un pacte entre Notre-Seigneur son Dieu et son seigneur le Dauphin. Il est un mystère de « la couronne de France », dussent les clercs en enrager ! Les historiens laïcs, dans leur majorité, ne font pas mieux que les cléricaux ; ils n’ont pas la foi de Jeanne. Ils passent à côté de l’essentiel : le roi.

Après l’enquête de Poitiers pour satisfaire aux normes, la jeune fille est armée par le Dauphin. L’hardie Pucelle s’impose aux Dunois, aux La Hire, aux Xaintrailles. Un mois après, le 29 avril, elle entre dans Orléans. Le 8 mai Orléans est délivrée. Elle l’avait prophétisé : c’était le signe éclatant de la vérité de sa mission. Elle a mis en échec les meilleurs capitaines anglais, les Suffolk, les Talbot, les Fastolf, les Glasdale. Suivent les victoires de Jargeau, de Beaugency, de Patay dans la fougue et la gaieté de la foi retrouvée. Les conseillers rechignent ; les militaires voudraient monter vers Paris et la Normandie. Elle indique la route de l’essentiel politique, du politique d’abord. Auxerre, Troyes, Châlons qui s’ouvrent devant la marche royale, sont les claires étapes du renouveau politique français. Plus de partis qui s’entredéchirent ! C’est la route vers le roi.

Le 16 juillet, l’arrivée à Reims est triomphale. Le 17 juillet devant Jeanne en pleurs, portant son étendard, Charles VII est sacré. Moment de pur bonheur, c’est le sommet de sa mission. « Gentil roi, ores est exécuté le plaisir de Dieu qui voulait que vous vinssiez à Reims recevoir votre digne sacre, en montrant que vous êtes vrai roi et celui auquel le royaume de France doit appartenir. » L’ordre futur national est créé qui transcende les féodalités, les clans, les partis ; un mouvement historique et politique se met en branle, lent mais irréversible ; le royaume de France n’a plus qu’à retrouver sa pleine nature dans la chrétienté et son rôle dans les nouveaux équilibres du monde. Pourquoi pas la croisade, pensait Jeanne.

Extraordinaire ordinaire

Du coup, Charles VII, ayant atteint l’extraordinaire de sa vocation, entre, à partir de cette date, dans l’ordinaire de sa fonction : il songe à récupérer son royaume par les moyens habituels d’une politique royale ordinaire où le compromis est la condition du rassemblement : rallier Bourgogne qui tient Paris et en fait un chantage. Les conseillers La Trémoille, Regnault de Chartres reprennent leurs tractations.

Quant à Jeanne, son extraordinaire chevauchée peu à peu se banalise dans l’ordinaire des bivouacs, des campements, des séances d’état-major et des expéditions dont la stratégie est plus intuitive que profondément politique. Cependant elle est toujours en « mission ». Une autre victoire mystérieuse lui est déjà annoncée par ses Voix qui ne lui garantissent plus le succès immédiat dans le recouvrement du royaume.

Ce renversement est d’autant plus étonnant que le sacre a eu son plein effet ; les villes se soulèvent au nom du roi de France les unes après les autres : Beauvais, Laon, Soissons, Senlis, Compiègne.

Ainsi s’explique la tentative de Jeanne sur Paris qui échoue ; elle y est blessée en septembre 1429. Puis cette attente fébrile d’une impulsion nouvelle est la raison de sa longue campagne qui la ramène vers la Loire mais qui finit sur un échec en novembre 1429 à La Charité. Elle remonte alors se jeter dans Compiègne à nouveau assiégée. C’est là que sa carrière militaire s’arrête. Elle est capturée, lors d’une sortie, probablement à la suite d’une trahison, mais pas du capitaine de la place. C’était le 24 mai 1430, un an après Orléans. Elle l’avait su à l’avance.

Sa vocation prend alors une autre dimension. Ses Voix lui parlent sans doute d’acceptation, encore de victoire, de libération mais d’un sens autre et qui échappe d’abord à sa jeunesse et à son innocence. Cette perspective mystique nouvelle où elle avance avec son clair regard, débouchera sur le sacrifice final qui scellera à jamais l’authenticité de sa mission et garantira l’ordre politique qu’elle a instauré. Dans l’apparente défaite de son bûcher, elle gagne encore, alors que les Anglais s’apprêtent après sa capture et selon les traités européens de renoncement national à faire sacrer le petit Henri VI d’Angleterre, âgé de 10 ans, roi de France à Paris. À la grande satisfaction des sages, des grands et des riches qui croient voir l’avenir quand ils sont engoncés dans un passé morbide en train de se décomposer.

Le sacrifice

L’itinéraire final de Jeanne est douloureux. Elle est vendue et livrée. Comme son Seigneur Jésus. Jean de Luxembourg-Ligny, gouverneur de Paris pour les Anglais, la livre à ses adversaires. Elle tentera de leur échapper. Elle sera l’occasion de marchandages. Elle est menée à Rouen pour être jugée. Le procès est voulu, organisé, monté de toutes pièces. Il commence au château de la ville le 21 février 1431 ; elle a 19 ans.

Pierre Cauchon, évêque de Beauvais, chassé de sa ville et en quête d’un nouvel évêché – ah, l’ambition ! – préside ; le vice-inquisiteur Jean Lemaistre est assesseur ; les docteurs de l’université sont là ; Jean d’Estivet est promoteur ; le traître Loyseleur, chanoine de Rouen, sera chargé de séduire la bonne foi de Jeanne. Ce tribunal ecclésiastique est composé pour obtenir la sentence recherchée, celle d’hérésie et de sorcellerie, afin de rendre ordinaire ce qui fut extraordinaire et de délégitimer l’œuvre de Jeanne qui fut œuvre de légitimité nationale et royale.

Si Jeanne nous a conservé une Patrie, c’est parce qu’elle fut catholique et royaliste, c’est sur ordre de Dieu et par le Roi […] Il appartient à l’héritier de ses droits de rendre grâce au Saint-Père d’avoir donné à la France un gage d’espoir, en mettant Jeanne sur les autels.  Philippe d’Orléans

Il reste les actes de ce procès. Tels quels, même falsifiés par des greffiers aux ordres, ils portent accusation contre les auteurs de pareille forfaiture. C’est le plus beau plaidoyer en faveur de Jeanne. Comme dans le cours du procès de Jésus, tout fut inique : la procédure, les interrogatoires, les pièges, les tromperies ; en particulier celle sur l’habit d’homme. Les réponses de la Pucelle, « fille de Dieu » comme l’appelaient ses Voix, laissent pantois d’admiration. Elle lutta devant ses juges jusqu’au bout, même quand elle fut induite en erreur par cette bande d’imposteurs que Bernanos imaginait gras et gros, couverts des honneurs de l’Église et du monde et qui parlaient le « politically correct » de l’époque. Cette dernière ignominie leur permit de la livrer au bras séculier, à l’ennemi ! Elle fut brûlée vive le 29 mai 1431. Ce fut sa définitive victoire, annoncée par ses Voix.

Sans doute Charles VII n’a-t-il pas su réagir après l’arrestation de Jeanne. Inertie qui paraît coupable aujourd’hui. Plutôt habitudes de nonchalance de cour avant qu’il ne s’affermît. Mais le silence des archives ne prouve rien. L’adversaire était implacable. Lui imputer un certain contentement comme n’hésitent pas à le faire beaucoup trop d’historiens, relève du dénigrement systématique. Et toujours de la même incompréhension profonde. Charles aima Jeanne, incontestablement. Comme Jeanne aima son roi. Elle le servit jusqu’à son dernier souffle. Elle n’eut jamais une parole amère. « Je vous ose bien dire et jurer sur peine de ma vie que c’est le plus noble chrétien de tous les chrétiens et qui mieux aime la foi et l’Église ». Parole de Jeanne à ses bandits de juges !

Sa mission était remplie : elle était venue de la part d’un Roi, fils de Roi, Roi du ciel, signifier à un roi, fils du roi de France, qu’il était roi légitime. Quoi de plus clair ? Et ce message était un « signe » pour la France et les Français et « ce signe si merveilleux et si riche », « le signe du roi », « le signe de la couronne », était donné pour durer « mille ans et plus ». N’y-a-t-il donc aucun Français pour comprendre ?

Charles VII la vengea comme il convint, en ouvrant lui-même le procès de réhabilitation, le jour même où il entra dans Rouen délivrée, 19 ans plus tard, en 1449. Il fallait que la réhabilitation fût inaugurée là où la condamnation avait été portée. Les hommes d’Église suivirent.

Rien n’arrêta plus le redressement français que Jeanne avait prédit et qui s’acheva en beauté à Formigny et à Castillon. « Dieu t’a rendu Guyenne et Normandie », chantait en son exil le prince poète Charles d’Orléans à sa « douce France ». Jeanne n’avait-elle pas dit qu’elle aurait voulu le délivrer ? En ces temps troublés le nom d’Orléans avait symbolisé l’espérance française.

Illustration : Jeanne d’Arc pleurant à la vue d’un Anglais blessé, Marie d’Orléans, 1834

 

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