Civilisation
Vauban pour toujours
1692, le duc de Savoie franchit le col de Vars, emporte Embrun, puis Gap. Louis XIV demande à Vauban de fortifier le Queyras.
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L’année 2020 marque le centenaire de la canonisation de Jeanne d’Arc. Quelle plus belle entrée en matière que le Jeanne d’Arc à Domremy de Siméon Luce, ouvrage fortement documenté qui, sur le fond, fait œuvre d’historien et, dans la forme, se lit comme un roman sur la vie quotidienne de cette marche de France que constituait au XVe siècle l’enclave royale de Vaucouleurs. Il suffit de remettre à plus tard, si on le souhaite, la lecture des nombreuses notes en bas de page – dont l’intérêt est d’attester la véracité des sources – pour se laisser prendre par la peinture d’une époque.
Le livre fait pièce à toutes les élucubrations modernes, qui imaginent des explications à ce qui reste profondément mystérieux pour qui refuse l’effort de comprendre les mentalités de l’époque. L’anachronisme tue l’intelligence. Siméon Luce l’écrit : « La plupart des auteurs qui nous ont précédés se sont médiocrement préoccupés de ces circonstances de temps et de lieu, de cet enchaînement de faits antérieurs à la mission ». La genèse de l’épopée est là, dans sa simplicité : une fille pieuse, pleine de vitalité, au fait de l’actualité. Les informations circulent bien dans le val de Meuse ; les fidélités politiques n’ont d’égal que la foi profonde et personnelle des acteurs de la geste. Populations de France, de Champagne, de Lorraine, d’Empire se côtoient sur quelques lieues carrées.
Jeanne, fille du doyen de Domremy, n’est ni lettrée ni ignorante. Ses intuitions tiennent à la fois au temporel – conviction de la légitimité du roi de France – qu’au spirituel – les voix, en premier celle de Saint Michel. Alors que Saint Denis (patron originel de la France) et son abbaye sont aux mains des Anglais, Saint Michel et son Mont résistent encore et toujours à l’envahisseur, ce qui donne au passage un récit de bataille fort bien tourné.
L’histoire se déroule classiquement : unité de lieu (l’enclave royale de Vaucouleurs, espace restreint, 15 km de Domremy à Vaucouleurs), unité de temps (quatre petites années, de 1425 à 1429, la fin d’une adolescence), unité d’action (péripéties en vue d’un seul but, commencer la mission pour obéir aux voix). Exposition claire des personnages : famille et proches de Jeanne, villageois, seigneurs, clercs, hommes d’arme. Baudricourt, rude capitaine fidèle, qui finit par lancer, au moment du départ : « Va, et advienne que pourra »… réalisme teinté à peine d’un grain d’espérance. Le récit fait ressortir la grande proximité des personnes dans cette parcelle de royaume en danger. Paysans, nobles et notables se côtoient, se rencontrent, se parlent. Ils partagent les mêmes vicissitudes et les mêmes valeurs : foi, fidélité, résistance. Nous suivons le passage de l’incompréhension au scepticisme puis à la reconnaissance de la frêle jeune femme, alors qu’alentour les revers successifs resserrent l’étau autour de l’enclave. La prophétie du « royaume compromis par une femme et sauvé par une pucelle » n’est pas une évidence. Tout cela est vivant, et ce livre si actuel a été publié en 1886 !
L’introduction et la postface de Dominique Paoli apportent un éclairage bienvenu, avec des développements resituant le livre dans son contexte. Elles lèvent un voile sur le processus qui permit à Jeanne d’être conduite auprès du Dauphin. Elles rappellent l’affaire Thalamas, lamentable et précoce tentative pour salir la mémoire de l’héroïne, bien avant la canonisation de 1920. La mécanique de la dévalorisation et de la haine de soi, résultant en l’occurrence d’un sectarisme « laïque », nous montrent que cette fâcheuse tendance ne date pas d’aujourd’hui. D’où l’urgente lecture de ce texte pionnier.