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Imants Kalninš : symphoniste de la liberté

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Imants Kalninš : symphoniste de la liberté

Considéré comme l’un des créateurs les plus importants de Lettonie, Imants Kalniņš demeure totalement inconnu en France. La première moitié de son existence se déroula sous le régime soviétique. Né à Riga en 1941, il y étudia au Conservatoire d’État le piano et la composition (classe d’Adolfs Skulte). Dès l’âge de vingt ans, il s’intéressa au théâtre, auquel il consacra une grande part de son activité (musiques de scènes pour Le prince et le pauvre, Les trois mousquetaires, etc.), ainsi qu’au cinéma (Pūt, Vējiņi – Souffle, petit vent de Gunārs Piesis en 1973). Kalniņš accompagna aussi l’ensemble Pantomime de Riga, pionnier du genre en URSS. Le mime Marcel Marceau, qui assistait à une représentation, en fut durablement impressionné.

Sous le joug soviétique

Composé dès 1963, au cours de ses études, le Concerto pour violoncelle, en un seul mouvement, exprime le désarroi du musicien devant les fortes concentrations de troupes soviétiques sur le territoire letton. L’apparition d’un thème folklorique dans l’épilogue de cette page néoclassique apporte toutefois une lueur d’espoir.
De vastes proportions, la Symphonie n° 1 (1964) affirme d’emblée sa maestria dans le maniement de l’orchestre : quatre mouvements intensément dramatiques usant de la percussion et des cuivres, influencés par la dynamique de Prokofiev et les stridences de Chostakovitch. Le Concerto pour orchestre (1966) illustre pareillement le côté sarcastique à travers des éclats de tambours et de cymbales.
Les trois sections de la Symphonie n° 2 (1965) s’émancipent quant à elles du classicisme. Des effluves de chants folkloriques la parsèment. Les thèmes lyriques se succèdent sans se développer, initiant un art de l’illustration sonore que le compositeur développera dans ses musiques pour la scène ou le cinéma.
L’unique mouvement de la courte Symphonie n° 3 (1968), se divisant en cinq parties, possède un caractère bucolique, alternant avec des passages dansants. Elle apparaît comme une paisible parenthèse.
Les échanges avec son confrère et ami Arvo Pärt orientèrent Kalniņš à explorer une autre voie. Séduit par le rock, il fonda à Liepāja le groupe 2xBBM dont les chansons et le style hippie devinrent rapidement le symbole de la résistance intellectuelle de toute une génération. L’interdiction de se produire en public édictée par l’autorité russe renforça la notoriété de l’artiste : des groupes très populaires comme Menuets ou Pērkons s’emparèrent des centaines de morceaux de rock qu’il avait composés. Il conçut en 1971 le premier opéra-rock en URSS : Ei, jūs tur! (Hé, là-bas!). En 1984, il produisit avec Juris Kulakovs et Juris Sējāns l’oratorio-rock Kā jūra, kā zeme, kā debess (Comme la mer, comme la terre, comme le ciel).

Rock Symphony

L’esthétique rock, prônant une communication forte et directe avec le public, le marqua durablement. La fusion des genres imprègne sa Symphonie n° 4 (1973) qui se rapproche du rock progressif de Genesis ou de King Crimson, dont elle emprunte la structure et l’idiome. D’une durée qui frise l’heure, cette partition spectaculaire en quatre sections débute par sa ballade rock Seven Sorrowful Stars. L’orchestre est enrichi d’une guitare basse et d’une batterie assurant à l’ensemble une dynamique impressionnante et des crescendos rythmés. L’ambiance générale de fête populaire croît jusqu’à l’orgie instrumentale frénétique. Cette pompe percussive et cuivrée pourraient concurrencer Les Fonderies d’acier de Mossolov ! Le thème chantant des violons et l’intervention des bois sur un rythme de séguedille dans l’Allegro festivamente se révèlent particulièrement séduisants. Les onze courts poèmes d’amour de l’américaine Kelly Cherry inclus dans le final subirent la censure. Ainsi, lors de la création, la ligne vocale fut confiée aux vents et aux cordes, mais les accents jazzy furent heureusement conservés !

Une imagination foisonnante

La très singulière Symphonie n° 5 (1979) déploie un geste dramatique puissant à la manière des deux premières symphonies. Dans le tutti orchestral Allegro appassionato, particulièrement coloré, Kalniņš introduit des éléments de folklore et insère des allusions à des airs populaires confiées notamment au registre aigu de la clarinette. Le Sostenuto dolce dépeint les souffrances endurées sous l’oppression russe. Les bois égrènent une succession de thèmes variés sur un rythme obstiné faisant irrésistiblement penser à Khatchatourian. Citant la chanson lettonne Caur sidraba birzi gāju (À travers la forêt de bouleaux), le final Largo con grazia – rêverie extatique – s’apparente à une vibrante aspiration à la liberté.
Lorsque la Lettonie accéda à l’indépendance en 1991, le compositeur fut élu au Parlement, représentant le parti nationaliste Pour la patrie et la liberté/LNNK. Reflet de la renaissance d’un pays meurtri, la Symphonie n° 6 (2001) atteste d’une profonde spiritualité. Le deuxième mouvement fait appel à des textes de Rabindranath Tagore déclamés par le chœur sur des rythmes irréguliers auxquels les instruments à vent ajoutent une note orientale. Suit une sorte de scherzo intitulé Un bal au château qui célèbre la souveraineté recouvrée. La prière du final : Seigneur Jésus Christ, ne me laisse pas seul, répétée à plusieurs reprises a capella en alternance avec des interludes instrumentaux, apporte apaisement et sérénité.
Kalniņš composa en 2012 un Concerto pour hautbois déployant de délicieuses arabesques, sans pour autant révolutionner le genre. La Symphonie n° 7 (2015) semble évoquer d’heureux souvenirs d’enfance interrompus par l’angoisse et l’anxiété : l’idylle pastorale et nostalgique se mue en une grinçante marche de soldatesque. Le livret suggère une piste d’interprétation : la conception de l’œuvre suivit de peu la traduction du Coran en letton par Kalniņš lui-même, passionné par les cultures orientales, et la création de la symphonie coïncida avec les représentations au Nouveau Théâtre de Riga de Soumission de Michel Houellebecq. Faut-il y voir un questionnement sur l’avenir de l’Europe ?
Le sobre coffret de l’Orchestre Symphonique de Liepāja, magistralement dirigé par Atvars Lakstīgala et Māris Sirmais, nous permet d’apprécier l’évolution du style de Kalniņš au cours de sa carrière, mêlant tradition classique et éléments de musique populaire, créant une œuvre efficace et immédiatement accessible, sans se couper pour autant de ses racines postromantiques.
Le phénomène Kalniņš n’est pas près de s’éteindre et la transmission artistique est assurée : sa fille Rēzija est une actrice très en vogue et son fils Marts-Kristians poursuit une carrière de chanteur.
Imants Kalniņš : Symphonies n° 1 à 7, Concerto pour orchestre, Concerto pour violoncelle et orchestre, Concerto pour hautbois et orchestre, Santa Cruz. Marta Sudraba, violoncelle, Pēteris Endzelis, hautbois, Chœur d’État « Latvija », Orchestre Symphonique de Liepāja, direction : Atvars Lakstīgala et Māris Sirmais. Coffret de 5 CD Skani LMIC/SKANI 087

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