Peu d’artistes auront atteint à la dimension d’universalité qui caractérisa Yehudi Menuhin (1916-1999), l’un des plus éminents violonistes de l’histoire, acclamé à juste titre pour sa musicalité et son rayonnement. L’enfant prodige, élève du grand Enesco, n’a cessé de fasciner. En 1929, après l’avoir entendu à Berlin, Albert Einstein estimait : « maintenant je sais que Dieu existe. » Le parcours de ce virtuose aux interprétations transcendantes et à l’immense répertoire, auquel Bartók, Bloch, Walton ou Martin dédient leurs œuvres, est évoqué par une habile compilation d’archives (étonnant Concerto d’Elgar), de témoignages et d’entretiens (dans sa villa de Mykonos). Menuhin, polyglotte et parfait narrateur, conte avec simplicité sa vie d’exception, émaillant son discours de réflexions et d’anecdotes, sans rien cacher de ses espoirs et de ses faiblesses. L’amour de la vie transparait dans son visage expressif et épanoui. Estimant de son devoir de soigner et d’aider, il s’investit dans de nombreux projets éducatifs et actions humanitaires, se fit avocat de la paix et de la défense environnementale. Les différents aspects du phénomène Menuhin sont abordés tout au long de cette rétrospective aux allures de testament. Bruno Monsaingeon, violoniste lui-même passé derrière la caméra, filme son sujet avec une bienveillante complicité et nous offre deux heures d’intense enchantement.
Yehudi Menuhin : Le violon du siècle, film de Bruno Monsaingeon. 1 DVD Euroarts/Warner Classics.
Façonné par son enfance bourguignonne, Maurice Emmanuel (1862-1938) s’affirma indépendant et précurseur. Un ménétrier de Pernand raclant des quadruples cordes pour accompagner les chants des vendangeurs en 1875 orienta sa curiosité vers la musique modale. Alliés aux cantilènes liturgiques, les airs populaires conditionnèrent son langage futur. Il quitta le Conservatoire après « cinq mois de purgatoire » et une brouille tenace avec Léo Delibes. Sa thèse de doctorat (1896) reconstituait les mouvements de la danse grecque antique$, anticipant le renouveau chorégraphique d’Isadora Duncan. Professeur réputé d’Histoire de la Musique au Conservatoire de Paris, Emmanuel se doublait d’un compositeur animant ses partitions d’un élan rythmique régénéré et libérant l’idiome de son temps d’une routinière tyrannie par la modalité. Deux minimes bémols entachent ce documentaire : à la 34e mn, on nous présente une partition à l’envers… Mais surtout, le témoignage d’Henri Dutilleux, annoncé par un bandeau rouge sur la pochette, nous laisse sur notre faim : le maître ne prononce que deux courtes phrases ! Au cours de la seconde partie, les auteurs rassemblent les propos de jeunes interprètes jouant des transcriptions, afin de souligner l’actualité d’Emmanuel. « Créer, c’est aller chercher la mémoire du monde » résume avec justesse Alexis Galpérine. S’il néglige la production orchestrale, ce film constitue une alléchante introduction à l’œuvre méconnue d’un excellent compositeur.
Dans la résonance de Maurice Emmanuel, film d’Anne Bramard-Blagny et Julia Blagny. 1 DVD ABB Reportages.