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Henry Le Bal, d’une île l’autre

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Henry Le Bal, d’une île l’autre

Le dernier livre d’Henry Le Bal, Naamah, est un monument : poème symphonique entre mer d’Iroise et vents de Noroit, il hurle comme une allégorie de la modernité prise dans la glue d’une incontrôlable marée noire.

croire que le semi-îlien d’Ouessant ou de Pâqueta qu’il est quand il ne tient pas salon d’esprit dans sa galerie de Quimper ou sur les planches dans des cryptes d’églises, a fait le voyage de cette maison perdue où, sous forme d’un manuscrit retrouvé, lui fut donnée cette histoire. Le bougre en est capable. C’est tout lui, cette faculté de confronter la sagesse de l’intelligence à la furie du monde en vivant ce combat au ras des flots. Car ce poète, philosophe, théologien, dramaturge et critique d’art ne s’épargne rien du réel quand il s’agit de tutoyer le Beau sans lequel le monde ne sera pas sauvé. Qui est la Naamah d’Henry Le Bal? Ce modèle des plus grands peintres de l’école de Montparnasse de l’entre-deux guerres venue finir ses jours sur une île des plus isolées, ou la femme de Noé mentionnée dans la Bible mais à laquelle une tradition intertextuelle a attribué ce nom? Elle est de toute façon une femme d’une grande beauté. L’homme qui tient son journal dans une maison voisine ressemble pas mal à l’auteur qui ne collectionne pourtant pas les oiseaux empaillés. Du moins, nous n’en avons pas vu dans ce bureau de la maison de Quimper où, entre une multitude de dictionnaires de tous ordres et de toutes langues anciennes ou modernes, est installé son atelier d’écrivain: crayon de bois et plume Sergent-Major sur papier ligné.

Breton d’origine malouine

S’il est né sur une rive de Seine qui comporte au moins une île, laquelle fut historique par son symbole industriel et social tout au long du XXe siècle, Henry Le Bal est bien un Breton d’origine malouine. Un de ces découvreurs de continent pour lesquels le monde ne finit pas au bout des terres. Il faut l’avoir entendu, face au large, les jambes arquées sur la lande, la crinière poivre et sel flottant au vent, le verbe timbré comme le chant d’une bombarde, il faut l’avoir vu désigner le mystérieux cercle de pierres puis pointer l’horizon: «Ici n’est pas la fin des terres, ici est le centre du monde, entre pyramides pharaoniques, Acropole et Matchu Pitchu. Il est une ligne de forces telluriques qui font se rejoindre les mondes, l’ancien et le nouveau, comme il est un Testament qui relie Jérusalem, Athènes et Rome. Vos pieds enjambent cette ligne. Si vous laissez venir en vous l’Esprit de Dieu, celui du Ressuscité, vous en sentirez les vibrations». Enfin, quelque chose qui en substance était de cet ordre, le souvenir s’estompe d’un déjà ancien Salon du livre insulaire où, de lectures en rencontres, nous avions fait connaissance.

Henry Le Bal écrit des romans qui n’en sont pas. Ils sont toujours plus que cela : de longs poèmes qui mêlent lyrisme et symbolisme et dont il faut lire les pages à voix haute pour entendre la musique qui leur donne un sens. L’œil se perd parfois où l’oreille trouve et retient. Des enfants qui ont chanté son oratorio Les larmes de Pierre peuvent en réciter par cœur de longs passages plusieurs années après, preuve que sa prose aux contours faussement heurtés s’inscrit dans une logique de la pensée qui n’échappe qu’au lecteur pressé. Mais, même à celui-là, l’écrivain a pensé : chacun de ses romans s’accompagne aujourd’hui de sa version théâtrale; l’impatient peut s’y reporter directement si son esprit se refuse à la période lebalienne dont la scansion répétitive trouble son besoin d’immédiateté rationnelle. Il y a des points de suspensions qui ne sont pas céliniens. Henry Le Bal nous en apporte la preuve, lui dont le style romanesque est plus d’un Joyce, comme celui de son théâtre est d’un Samuel Beckett qui aurait lu Anouilh. Celte dans l’âme, ce diable de poète est Français par son rire. C’est en cela qu’il est plus breton que breton, bien au-delà de son profil d’aigle au regard perçant qui couronne sa mince silhouette toujours vêtue de velours noir.

Dernier ouvrage paru: Naamah, L’Âge d’Homme, 470 pages, 25 euros.

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