Civilisation
Vauban pour toujours
1692, le duc de Savoie franchit le col de Vars, emporte Embrun, puis Gap. Louis XIV demande à Vauban de fortifier le Queyras.
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Ce pourrait être une thèse de doctorat. Elle mériterait la mention plus qu’honorable.
Gabriel Privat qui, très jeune, a écrit une histoire de France animée d’un véritable souffle spirituel, La Saga capétienne, et, depuis, quelques romans à connotation historique, s’est plongé dans l’œuvre de Numa-Denys Fustel de Coulanges, appelé plus simplement Fustel. L’historien qui s’est fait connaître au XIXe siècle surtout pour sa fameuse Cité antique, puis, plus tard, après la défaite de 1870, pour son Histoire des institutions politiques de l’ancienne France, revue et corrigée à plusieurs reprises, a, pour ainsi dire, disparu de l’historiographie officielle : quelques rues, trois ou quatre appellations de lycées dont le nom ne dit rien, sauf exception, à ceux qui les fréquentent. Une renommée assez vague dans l’entre-deux guerres. Presque rien depuis : de très rares articles de revues spécialisées et un ouvrage de François Hartog sur Le cas Fustel de Coulanges en 1988 ont secoué momentanément la poussière de l’oubli…
Notre ami Gabriel Privat vient réveiller le silence. Avec une science assurée – il connaît le sujet parfaitement dans toutes ses dimensions – et un grand talent d’exposition et d’écriture, il présente la personnalité et l’œuvre de Fustel de Coulanges, l’une expliquant l’autre et vice-versa, comme si nous revivions avec le maître qui s’imposa peu à peu, sa vie, sa recherche, son souci de rigueur scientifique et littéraire, ses intentions et ses préoccupations, qui prenaient la forme d’un combat ; et ce depuis ses premières études, l’École Normale Supérieure, ses postes d’enseignant jusqu’à sa fin de carrière, titulaire de la chaire d’histoire médiévale en Sorbonne, également un court temps directeur de l’ENS, et président de l’Académie des sciences morales et politiques. Les honneurs ne le suivirent pas vraiment dans la tombe.
Notre auteur avec art expose et explique chez Fustel simultanément et en interaction la nouveauté de sa méthode, surtout par rapport aux contemporains, la cohésion et l’intelligence des considérables travaux qu’il effectua et l’œuvre obtenue à force de persévérance, de rigueur, d’abnégation. Tout un style qui englobe et soulève l’ensemble et le rend accessible, les articles dans les revues valant des livres par leur force et leur contenu.
Fustel a ainsi, comme le montre Gabriel Privat, fondé l’historiographie moderne. Elle lui doit pratiquement tout, sans que ce soit vraiment reconnu, lui-même s’appuyant sur tous les documents de l’Antiquité, bien sûr, et, par la suite, sur la tradition française des Mauristes et des historiographes de l’Ancienne France. Il avait la science du texte. Et de la compréhension du texte, même faux, même falsifié ! Loin de l’histoire à la Thierry ou à la Michelet, il se refusait à l’explication lyrique, a priori, superficielle ou idéologique. Au point de tomber lui-même, peut-être, comme le dit à plusieurs reprises Gabriel Privat, dans l’esprit de système ? A contrario ! Il préférerait analyser la permanence structurelle plutôt que l’agitation éphémère.
Reste qu’ainsi Fustel – bien que non-croyant et pas légitimiste – a sorti l’histoire de France, comme auparavant l’histoire grecque et romaine, du bain bouillonnant des querelles idéologiques, partisanes, fratricides, religieuses, que la Révolution française avait encore aggravées, où se complaisaient les historiens et les politiciens, en particulier dans les débuts de la IIIe République, et que l’influence germanique dominante pendant tout le XIXe siècle et encore au XXe siècle ne faisait que renforcer. Soit, s’il n’était pas « romaniste » à proprement parler, et encore, il rejetait l’a priori « germaniste » qui infestait l’esprit universitaire.
Non, la France n’était pas le lieu perpétuel d’une lutte de races, d’une lutte de classes, d’une lutte de clans. De la Gaule celtique et la Gaule romaine jusqu’à la fondation de la monarchie, il y a un continuum social, juridique, politique, religieux, qui reste le fondement de notre pays ; il est permis de penser que si Fustel avait continué son histoire de France, il se serait inscrit dans la même lignée qui fut celle des grands légistes royaux. Serait-il resté sur sa position prudemment républicaine ? Pour la France ? Sachant ce que la République signifia concrètement à partir des années 1880-1890 ? C’est pourquoi Maurras eut raison d’en faire un maître de la pensée française ; et l’Action française de vouloir le célébrer. Précisément en 1905 ! Date parlante, s’il en est !
Gabriel Privat essaye – assez vainement, mais par volonté d’impartialité – de mettre son jugement à équidistance du maître de Martigues et de Jaurès. Il ne faut pas oublier que Jaurès était germanolâtre en tout domaine et d’abord en philosophie, comme Gabriel Monod, l’adversaire de Fustel, était, en réalité, malgré ses dénégations, un « germaniste » et républicain forcené. Fustel était un patriote. Certes, le nationalisme était une doctrine de combat. Mais Fustel était aussi polémiste. Surtout quand il s’agissait de la France. Taine et Renan après la défaite de 70 sont allés dans le même sens que Fustel. C’est dire. Ajoutons que l’école de l’histoire du droit français est dans la lignée de Fustel, d’Olivier-Martin à Lemarigner, Timbal et autres, plus encore que Braudel et l’école des Annales. Malgré tant de travaux, malgré d’innombrables biographies qui ont renouvelé l’image de nos rois, après les Gaxotte et les Favier, après les Furet, l’historiographie officielle de la République ne change pas. Elle reste fixée dans ses a priori constitutifs et existentiels. Pour la guerre de Vendée, c’est Reynald Secher qui a raison évidemment contre la propagande républicaine qui se camoufle en histoire. Il faut le dire simplement. Voilà donc un livre important, instructif, très utile. À recommander aux étudiants en histoire et en histoire du droit et des institutions.