Une vie cachée, le nouveau film du grand cinéaste Terrence Malick, palme d’or en 2011 pour The Tree of Life, vient de sortir dans les salles. Le réalisateur poursuit sa quête esthétique et spirituelle en retraçant la vie d’un saint, Franz Jägerstätter, objecteur de conscience au régime nazi béatifié en 2007 par Benoît XVI.
Qui s’attend à un énième film d’action hollywoodien sur les méchants nazis sera déçu par ces trois longues heures où rien ne se passe. Les amateurs de Malick, au contraire, reconnaîtront son style si particulier : ses prises de vue en grand-angle ou en contre-plongée, sa steadicam qui suit les personnages comme en apesanteur, ses ciels nuageux ou crépusculaires où quelques rayons de soleil se détachent, ses paysages naturels où l’on entend le bruissement des feuilles et le chuchotement de l’eau qui court, ses musiques sacrées qui accompagnent l’image, de Bach et Handel à Pärt et Górecki. Un cinéma non spectaculaire mais poétique et contemplatif.
Un homme révolté est un homme qui dit non
Ici nous suivons donc les joies et les pleurs d’un couple profondément amoureux, Franz et Fani, deux fermiers autrichiens partageant un bonheur idyllique, jusqu’à ce que la guerre arrive et les sépare. Franz est appelé, mais refuse de participer à une guerre qu’il juge injuste. Un homme révolté est un homme qui dit non, disait Camus. Frantz est révolté en ce sens : il ne crie pas, il ne frappe pas, il se justifie à peine, le plus souvent il se tait, néanmoins lorsqu’on lui demande de prêter allégeance à Hitler, ne fût-ce qu’en parole, il dit non. Ce qui lui vaut d’être fait prisonnier, d’être violenté, et finalement exécuté. Il est abandonné de tous, ou presque. L’Église, craintive, ne le soutient pas. Lui reste Dieu, qu’il prie. Et sa femme, Fani, indéfectiblement fidèle et aimante, qui ne souffre pas moins, à s’occuper de leurs trois petites filles et de leurs récoltes, et à endurer le mépris des villageois qui lui reprochent la « trahison » de son mari. Même si finalement la plus grande douleur de leur martyre, à l’un comme à l’autre, vient sans doute de ce qu’ils sont exilés loin l’un de l’autre.
L’obstination de Franz, en apparence, n’aura servi à rien. Toutefois, comme écrivait George Eliot, dans un passage qui a donné son titre à l’oeuvre, « le bien croissant du monde dépend en partie d’actes non historiques ; et si les choses ne vont pas pour vous et moi aussi mal qu’elles auraient pu aller, nous en sommes redevables en partie à ceux qui ont vécu fidèlement une vie cachée et qui reposent dans des tombes délaissées ». Ce sacrifice pèse mystérieusement dans la balance de Dieu. Son exemple peut aussi nous servir à nous qui le considérons aujourd’hui. Cependant, comme le remarque ce vieil homme qui repeint l’église, les images ne servent souvent qu’à rassurer : on se dit, en les regardant confortablement, qu’on aurait été du bon côté. Rien n’est moins sûr. À nous d’être, non des admirateurs, mais des fidèles.
Par Olivier de Lérins