Civilisation

Où le vent les pousse
Dans la série des romans d’anticipation qui ne seraient pas si terrifiants s’ils n’annonçaient pas une réalité déjà en germe, il convient de rendre hommage au livre de Frédéric Bécourt.
Article consultable sur https://politiquemagazine.fr
Adepte des romans qui flirtent entre le réel et la dystopie, l’auteur d’Un Vent les pousse, que nous avions chroniqué dans ces pages, nous revient avec un troisième ouvrage dont le titre, Thanatose, ne manque pas de nous interroger.
« Retrouvé gisant parmi les victimes d’une fusillade en plein Paris, Guillaume est d’abord déclaré mort avant de se réveiller, quelques heures plus tard, à l’hôpital. À l’évidence, il n’est pas blessé, ni même inconscient. Il semble seulement s’être absenté de son corps. Selon l’un de ses amis biologistes, ce phénomène étrange s’apparente à un mécanisme de défense observé uniquement chez quelques espèces animales : la thanatose. »
Ce bref résumé semble toutefois bien fade pour parler de cet ouvrage, dont la longue épigraphe de Jacques Maritain, issue de son Court traité de l’existence et de l’existant, nous fait percevoir dès les premiers chapitres, pour qui veut bien lire entre les lignes, qu’il ne s’agit pas d’un simple roman mais bien d’une volonté de nous plonger dans cet état de simulacre de la mort face au danger dont beaucoup de nos contemporains font l’expérience sans même sans apercevoir. « Toute la complexité de l’homme », nous dit Nicolas Berdiaev dans La destination de l’homme, « résulte du fait qu’il est un individu, c’est-à-dire une partie de l’espèce, et une personne, c’est-à-dire un être spirituel. »
Par le biais de ce fait divers d’une fusillade au cours de laquelle sa fiancée Alice va mourir, cet anti-héros, qui ne doit sa survie que grâce à cet instinct animal manifesté au travers de ce phénomène de la thanatose, nous brosse au fond le portrait d’un homme qui cesse d’être une « personne », pour ne rester qu’un simple « individu ». C’est en vain que son beau-père essaie de réveiller chez lui, dans de brefs échanges très beaux, le sens du Mal dans le monde, le rôle invisible de nos destinées, le mystère de l’au-delà.
Rien n’y fait : une forme de désespérance sans dépression le tient, où les émotions sont presque inexistantes face à l’absurde de la vie réelle qui ne trouve à s’incarner que dans un monde parallèle de l’image, des réseaux, des jeux, du métavers. L’auteur ne force pas le lecteur. Il pose des touches çà et là, laissant à chacun le soin de se réveiller de lui-même, et laisser couler la larme qui manifeste que face au rien, il ne reste plus que la peur.