Civilisation
Les Folies Gruss
Par la compagnie Alexis Gruss. Orchestre live. Le cirque, lieu de communication et d’émotion, a de tout temps su conquérir et surprendre tous les publics en leur apportant par sa magie émerveillement et beauté.
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Escher (1898 – 1972) est une petit maître fascinant. Graveur au style années 20 caractéristique, mais avec un sens très sûr de la perspective et un trait puissant et noir (Cloître à Monreale, 1933), très architecturé, il met en scène les contrées méditerranéennes.
Peu à peu, Escher délaisse la réalité, même réduite à sa version noir et blanc et se lance dans une exploration mathématique qui va intriguer puis passionner des centaines de milliers d’amateurs quand ses œuvres, dans les années 60, commenceront à être reproduites à grande échelle : ses gravures sont remplies de perspectives tordues et impossibles (Cascade, 1961), de rubans de Mœbius, de représentations de l’infini, et de pavages réguliers – ou non – du plan, appelés tessellations : poissons volants géométriques improbables et souriants creusant l’espace (Profondeur, 1955), cavaliers si parfaitement imbriqués les uns dans les autres, oie se transformant en carpe en se multipliant et se simplifiant… On ne compte plus les pavages à base de lézards enroulés en spirales des plus grands aux plus microscopiques (De plus en plus petit, 1956) et les métamorphoses, comme celle où un échiquier devient ville méridionale, les maisons devenant cubes, puis oiseaux, ruches…
La fascination vient du fait qu’il est évident que le tour de force visuel a nécessité une soigneuse mise au point, et donc beaucoup de réflexion, puis une exécution tout aussi soigneuse, pour aboutir à une œuvre limpide, dont la complexité n’est en fait pas immédiate, qui ne se révèle que dans l’attention portée aux enchainements, aux variations d’échelle, au choix du motif dupliqué et peu à peu modifié. Escher donne l’impression que les mathématiques sont vivantes, et même actifs, qu’elles se tiennent à la lisière du réel et qu’il suffirait d’un rien pour que notre monde ordonné se plie et s’ouvre, se déplie et s’enroule.
Une autre série de gravures renforce cette idée d’un jeu continuel avec la représentation : deux mains se dessinant l’une l’autre (Mains dessinant, 1948), extrêmement réalistes quand elles tiennent leur crayons respectifs, simple trait au niveau du poignet, où le crayon se pose sur une page fictive d’où les mains paraissent surgir et s’animer au fur et à mesure qu’elles se précisent ; ou ce poisson gris, juste sous la surface d’un étang couvert de feuilles blanches où se reflètent les arbre d’où elles sont tombées (Trois mondes, 1955) : on croirait le tableau accroché à l’envers avant que le poisson ironique enfin décelé ne nous interpelle. Ce côté illusionniste était d’ailleurs déjà perceptible dans ses premières œuvres, comme Castrovalva, Abruzo (1930) : au bord d’un chemin de montagne, l’artiste détaille avec la même précision la touffe d’herbe à ses pieds, la ville étagée plus haut, les nuages qui dominent la vallée et le damier des champs, sans aucune « perspective atmosphérique », un peu comme les vieux maîtres flamands qui cachent aux arrière-plans des Annonciations un port, ses quais, ses bateaux et leurs équipages.
Conceptuel, Escher, assurément. Mais avec un métier admirable et rien, chez lui, ne peut être assimilé à de la facilité : l’idée mathématique est servie par un burin ou un crayon très sûrs et on regrette fugitivement qu’il ne l’ait pas mis au service d’une exploration animalière : ses serpents et ses poissons sont très évocateurs et son goût de l’étrange aurait pu l’amener vers ces fantasmagories Renaissance, comme La Tentation de saint Antoine de Schongauer (v.1470). Et pour finir, petit maître car explorant un domaine réduit de la représentation avec un imagination qu’on sent forcée, une volonté pédagogique qui prend le pas sur l’expression artistique, un attachement à certains thèmes qui finissent par user (surtout dans une exposition) le regard du spectateur. Mais le charme opère et l’on se perd à suivre les lézards et vouloir pénétrer dans les profondeurs factices où sourient les poissons ; on se prend à rêver d’être nous aussi un de ces cavaliers qui pavent le plan et paraissent, dans leur immobilité si exacte, vibrer d’une vie contenue : ils sont sur le point de s’échapper et d’envahir nos trois dimensions.
Illustration : Mains dessinant, 1948, Lithographie 282×332 mm Collection M.C. Escher Heritage, Pays-Bas All M.C. Escher works © 2025 The M.C. Escher Company, The Netherlands.

Air et eau I, 1938, Gravure sur bois, 435×439 mm, Collection M.C. Escher Heritage, Pays-Bas All M.C. Escher works © 2025 The M.C. Escher Company, The Netherlands.
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