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Être juif à Varsovie en 42-43

Cet énorme volume est une somme, l’ouvrage d’une vie, la justification obsédée d’un survivant se battant sans cesse pour que sa survie ait un sens.

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Être juif à Varsovie en 42-43

Hillel Seidman, Juif polonais, était archiviste de la Kehilla/Judenrat, « conseil juif », de Varsovie, position spéciale qui lui a valu d’être longtemps préservé par les Allemands et relativement libre de ses mouvements. Il a tenu le journal du ghetto, des horreurs quotidiennes jusqu’à l’insurrection (que Seidman raconta en recueillant les témoignages de ceux qui la vécurent) et l’extermination en passant par les tracasseries administratives des Allemands et les organisations clandestines (« Les ingénieurs et les techniciens construisent des caches souterraines que l’on appelle bunkers, pourvue de presque toutes les installations d’une habitation. […] Et on se prépare au combat. » – 27 nov. 42). Seidman a réussi à échapper à la mort, et sa vie n’avait de sens qu’à condition qu’il puisse témoigner : Du fond de l’abîme raconte le ghetto mais le manuscrit et ses versions ont leur propre histoire. Comme le souligne Nathan Weinstock, le traducteur, « il faut considérer le Journal de Seidman comme un témoignage, composé d’une chronique enrichie des souvenirs de l’auteur, ce qui est tout autre chose qu’un journal reproduit verbatim, à l’état brut. » Le Journal proprement dit occupe un tiers du volume, les deux autres tiers étant des notes et des annexes, utiles mais loin d’être toutes nécessaires.

Revenons au Journal : il débute en juillet 42, alors que la Conférence de Wannsee sur la « solution finale » a déjà eu lieu. Il se termine en janvier 43, quelques mois avant que n’éclate la révolte. Hillel, homme pieux, juif orthodoxe, regarde s’effondrer son monde et considère avec sévérité ceux qui prétendaient s’assimiler à la société polonaise : « L’appartenance nationale et ethnique d’un individu ont des éléments organiques. Quiconque en est dépourvu est spirituellement déraciné, moralement dévoyé… C’est ce qu’ont démontré les assimilationnistes à l’heure de l’épreuve. Ils n’ont sur la soutenir ni comme Juifs ni comme êtres humains. Ils se retrouvent dans un même abîme moral avec la lie de la pègre, avec le rebut du ghetto. » Entre deux évocations de discussions sur la Tora avec de sages talmudistes et la description des préparatifs pour échapper à la mort programmée, Hillel note fiévreusement tous les noms de ceux qu’il croise et lit tous les manuscrits qu’il trouve pour témoigner de la valeur de ce qui est en train d’être détruit : « on a anéanti ici des univers bruissant de vie, tumultueux, florissants. […] Et ce qui en subsiste, ce sont des manuscrits. Chaque phrase est un appel d’outre-tombe ; chaque parole un testament, et chaque lettre, une plaie ouverte… »

 

Hillel Seidman, Du fond de l’abîme. Journal du ghetto de Varsovie. Les Belles Lettres, 2025, 714 p., 21 €

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