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Espions et eaux troubles en Afrique du Sud

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Espions et eaux troubles en Afrique du Sud

Mike Nicol est né en 1951 au Cap, l’Afrique du Sud il connaît. D’autant qu’outre son activité d’écrivain (auteur par exemple d’une biographie autorisée de Mandela, de poèmes, d’essais sur la politique et la culture sud-africaines et de romans, dont des romans noirs), il est journaliste. L’Agence est son cinquième roman noir traduit en France, le premier dans la prestigieuse série noire. On y retrouve le tandem composé de la jolie jeune femme, forcément c’est le genre, Vicky Khan et du détective privé adepte de surf, y compris là où il y a des requins, Fish Pescado. Un roman qui ravira les amateurs d’histoires tordues se tramant à la tête d’états corrompus, ici l’Afrique du Sud de l’ANC, du communisme désenchanté d’après « La Lutte ». Avec un État que Mike Nicol décrit comme fortement autoritaire, au sein duquel les diverses branches de la police d’État contrôlent la société. Elles s’affrontent aussi, ces branches de la police, en particulier celles des renseignements, y compris au sein de chacune des agences, dont « la Volière », qui donne son titre au roman, et où travaille la principale protagoniste, Vicky Kahn, espionne. Manipulatrice, sans doute. Manipulée, peut-être. Lancée vers Amsterdam puis Berlin, Berlin surtout, ancienne capitale de l’espionnage de la guerre froide disparue, Vicky replonge dans les années John Le Carré, et c’est une des très grandes réussites de ce roman que de montrer combien le vieux monde des espions erre comme un fantôme, quand bien même sont nés les espions maintenant décrits par des séries telles que Homeland ou Le Bureau des légendes. Notons en passant que L’Agence ne pourra que ravir les amateurs de ces deux séries.

C’est une Afrique contemporaine sans mensonges et sans fards qui apparaît sous nos yeux, en particulier une Afrique du Sud malade et dont l’état de santé déficient s’étend jusqu’à la République centrafricaine, à moins que ce ne soit le contraire. Vicky est envoyée à Berlin pour récupérer un mannequin, Linda, belle femme qui s’avèrera proche de Zama, l’un des nombreux fils du président du pays, mais qu’elle fuit : Linda serait prête à révéler les eaux troubles du pouvoir. Mais ce n’est que le haut de l’iceberg d’une intrigue qui pour être classique n’en est pas moins passionnante. En effet, elle ne porte pas que sur ces révélations mais aussi sur le passé de Vicky, ancré à Berlin, sur la vie du fils du président, sur ce dernier, sur les factions hétéroclites du gouvernement et de ce qui reste des communistes de l’ANC, sur la richesse qui coule à flots sur ceux qui furent, dit-on, des révolutionnaires, et dont la révolution s’est terminée comme partout ailleurs par l’appropriation personnelle des richesses, sur les dits et les non-dits entre les membres d’une même structure de renseignement, sur la manipulation des agents, les assassinats politiques, la guerre en République centrafricaine, drame qui devrait nous concerner, nous, Français, catholiques, mais dont personne n’a cure ou presque, le tout sur fond de trafic d’êtres humains. Et sur un président vieillissant, autoritaire, vivant dans une tour d’ivoire, obligé de porter un gilet pare-balles pour sortir des murs de son palais. Les femmes sont noires et sublimes, Mike Nicol campe cette beauté avec un talent fou, mais l’Afrique que l’auteur décrit est moche, et les anciens colons n’ont rien à voir là-dedans. La bêtise humaine ne souffre aucune couleur et l’homme noir peut être un salaud comme les autres. Dans l’Afrique du Sud actuelle, plus que les autres même, semble-t-il.

Mike Nicol, L’agence, Gallimard Série Noire, 2019, 550 p., 22 €

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