Tribunes
Que faire ?
Adieu, mon pays qu’on appelle encore la France. Adieu.
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Avec Et maintenant, voici venir un long hiver…, Thomas Morales nous offre une galerie de portraits des Trente Glorieuses qui magnifie la France d’avant. Il honore, entres autres, Jean-Paul Belmondo auquel il voue un culte, Marie Laforêt dont on ne parle jamais assez et l’artiste du football Diego Armando Maradona. Un livre de nostalgie vivifiante !
Thomas Morales possède un bon goût certain. Adulant notre Bébel national au point de ne retrancher aucun titre de sa filmographie – ce qui relève de la perversité –, il déteste en revanche Yves Montand, au point de ne jamais citer son nom, ne lui concédant même pas un seul bon film dans toute sa carrière d’acteur. Nous pourrions lui dire qu’il exagère un peu, mais il est vrai que Montand est rarement supportable, à l’exception de ses rôles dans les films de Maître Sautet (Vincent, François et les autres, César et Rosalie et Garçon en étant indulgent) et lorsqu’il ne parle pas ou que peu (Le Cercle Rouge, Police Python 357, I comme Icare et un ou deux autres). Il faut tout le talent de Jean-Pierre Melville, Alain Corneau et Henri Verneuil pour qu’il effectue de bonnes prestations à l’écran.
Dans ce recueil d’articles publiés, en grande partie, sur le site de Causeur, Thomas Morales réussit l’exploit de rendre intéressants Anémone et Jean d’Ormesson. Deux personnalités pour le moins contrastées mais toujours surévaluées dans le monde merdiatique. L’une pourtant toujours fanée qui gâche l’image par son physique et sa voix ingrates en n’étant jamais drôle, mais toujours emmerdante ; l’autre pâmé devant son propre génie fallacieux, sa distinction faussement aristocratique, mais vraiment grande bourgeoise, dont le conformisme veule le disputait à la veulerie suffisante.
Thomas Morales enchaîne et nous ravit, sans aucune limite, lorsqu’il évoque délicieusement l’immense Jean-Pierre Marielle : « Un jour, j’espère, on étudiera le style Marielle, le verbe fleuri, le timbre introspectif, le port altier et la main leste. Irrésistible. Chez Broca, Grangier, Tavernier, Molinaro, Blier, Berri ou Séria, ses fulgurances resteront gravées dans notre mémoire comme un bien précieux, jalousement gardé. Tous les matins du monde seront désormais tristes ». Ajoutons peut-être que la maturité et la moustache vont bien à Marielle… Stéphane Audran fait également partie des actrices révérées par Morales. Comme nous le comprenons ! Il écrit à propos de cette dernière avec un sens très précis de la description physique et comportementale : « Cette beauté froide et mystérieuse inspirait des sentiments contradictoires, la distance et l’attachement, le désir et l’angoisse. Elle jouait avec nos nerfs. Son charisme ne s’expliquait pas. Elle figeait notre subconscient avec cette insolence crâne et ces manières de bourgeoises plus folles que discrètes ». Il conclue alors plaisamment : « Cette pétroleuse en tailleur strict n’avait pas froid aux yeux, elle nous régalait de sa présence. Merci pour ce festin ».
D’autres grandes figures disparues figurent dans ce livre de portraits réjouissants : l’éternelle Danièle Darrieux, la grande sauterelle Mireille Darc, l’élégant Claude Rich, le trop rare François Perrot, l’insolite Michael Lonsdale, un Michel Piccoli, distingué et bohème à la fois, un Claude Brasseur bourgeois et plébéien dont on ne souligne presque jamais la fêlure à l’écran dans certains de ses rôles (Un éléphant ça trompe énormément, Nous irons tous au paradis, L’agression, Une histoire d’homme, etc.). Quant à Marie Laforêt, Thomas Morales s’adresse à elle, en la dénudant presque : « Triste comme une ballade mélancolique, pétulante dans ta classe désinvolte, tu méprisais les codes sociaux. Nous sentions qu’avec toi, nous découvrions un nouveau territoire féminin, en dehors des minauderies et des provocations […] Face à Jean-Paul au style musculeux, tu étais son double intimiste, élégante et décorsetée. Insaisissable, en somme ». Comme quoi, Stéphane Audran et Marie Laforêt interprétaient des rôles de grandes bourgeoises, tour à tour nonchalantes et fantaisistes. Un classicisme original aux antipodes de la branchitude convenue des actrices sévissant de nos jours dans le cinéma hexagonal.
Et maintenant, voici venir un long hiver… se termine par un hommage que Thomas Morales a voulu rendre à son ami et éditeur – qui était aussi le nôtre –, Pierre Guillaume de Roux (1963-2021) : « Je veux garder, aujourd’hui, le souvenir non pas du lettré ou de l’homme engagé, plutôt celui du passeur rieur et partageur, de sa gourmandise érudite qui me manque déjà tant. Derrière l’image figée de ce grand échalas en duffle-coat, figure hiératique de l’édition, bon fils aimant, fidèle en amitié, incarnation du monde d’avant, je veux me souvenir de son rire gamin. Il pouffait élégamment en rentrant la tête dans ses épaules, se contorsionnant à l’extrême. Je veux me souvenir de ce sale gosse à particule qui n’aimait rien d’autre que bousculer les mollesses du temps présent, qu’éperonner les certitudes, que faire éclore des manuscrits inconnus, que donner sa chance à l’incongru ou au fantasque, aux réprouvés et aux marginaux ». Un incorrigible, lui aussi à sa façon…
Thomas Morales, Et maintenant, voici venir un long hiver… Héliopoles, 2022, 187 p., 15 €