Netflix consacre un film à la présence simultanée de deux papes. Film historique ou nouvel épisode de la construction hagiographique et médiatique de l’image de François ?
C’était plein de bonne volonté que j’entamai le visionnage de Les deux papes. De la bonne volonté certes mais aussi un peu d’appréhension : en général, avec ce genre de film, il y a toujours un détail – liturgique, vestimentaire – qui me reste en travers de l’œil. Mais, cette fois, rien de tout cela ; le rouge est rouge, le latin, latin, et tout est aux petits oignons ecclésiastiques. Fabuleux ! Pourtant, je n’ai tenu qu’une petite demi-heure. Je m’étais dit : je vais enfin comprendre quelque chose à cette situation inédite et qui ne peut que troubler un catholique : deux papes en présence ; qu’un pan du voile allait être levé, qu’on allait me proposer un début d’explication illustrée. Mais dès les premières images j’ai su que le voile allait rester de plomb et que ma soif de comprendre resterait sans remède.
Bergoglio le modeste
On commençait par me tromper sur le titre. Deux papes ? Vraiment ? On m’annonçait une espèce de remake du Grand Schisme et je ne voyais qu’un pape et un cardinal dans un face-à-face très tranché : Ratzinger veut se faire élire, Bergoglio, modeste, cherche à partir à la retraite ; le premier joue du piano, passe-temps un peu snob, le second danse le tango, avec une partenaire (!), sur les bords du Rio de la Plata. Ratzinger, dogmatique, croit à l’existence d’une vérité inaltérable, Bergoglio, subtil, ne connaît que le pragmatique ; le premier tient pour la doctrine de l’Eglise, le second pour la tolérance évangélique ; l’Allemand porte des souliers rouges, l’Argentin folâtre dans le jardin un brin d’origan lui chatouillant les narines, devisant de chapelure et de cuisine avec le jardinier, ce digne représentant du peuple. La coupe se remplissait. C’est alors que le cardinal de Buenos Aires y versa cette goutte énorme : « Jésus ne construisait pas des murs, il prêchait la tolérance ».
Débordement ! J’ai su que je n’irai pas plus loin : j’en avais assez vu pour comprendre de quoi il s’agissait. Tant mieux, je dois avouer que je vivais depuis le début du film une torture mentale atroce : je ne sais ce qui a motivé le fait de faire jouer Ratzinger par Anthony Hopkins, si cela tient du désespoir ou du lapsus, mais pendant mes trente minutes de spectacle métaphysique, je m’attendais à ce que Benoit XVI se jette à la gorge du Cardinal Bergoglio pour le dévorer tout cru, le loup et l’agneau version Castel Gandolfo, vous savez, cette résidence d’été pour papes peu évangéliques et aussi parfaitement anachroniques que la garde-robe pontificale que le pape François a verrouillé et dont il a avalé la clef.
Le film, aux images très netflixiennes, commençait par l’histoire de saint François à Saint-Damien quand le Christ lui demande de rebâtir son Eglise, histoire racontée par l’archevêque Bergoglio. L’argument était là dans cet œuf franciscain, je n’avais pas besoin d’en voir plus pour savoir quel oiseau allait en surgir.
Par Manuel Cardoso-Canelas