Civilisation
Vauban pour toujours
1692, le duc de Savoie franchit le col de Vars, emporte Embrun, puis Gap. Louis XIV demande à Vauban de fortifier le Queyras.
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Jacques-André Bertrand nous donne des nouvelles d’Anatole, un gentil garçon qui a du mal à trouver sa place en ce bas monde. D’où le titre de cette histoire : Cette chaise est libre ? (éd. Julliard), pour la raison qu’Anatole aussi bien que l’auteur s’est aperçu qu’il n’y avait pas assez de chaises pour que chacun puisse s’asseoir, ce qui est une bien modeste ambition, mais ô combien capitale.
Ça n’a l’air de rien, mais c’est de la haute métaphysique. Parce que dès que l’homo machin-chose s’est mis debout, il a ressenti le besoin impératif de s’asseoir. On ne pense pas assez que, si la grandeur de notre espèce se trouve dans la station debout, il apparaît vite que cette position est trop fatigante pour être maintenue. Cependant, la nature est si merveilleusement faite que le développement des muscles fessiers, qui permet cette station debout, crée aussi un merveilleux coussin pour s’asseoir confortablement. Conséquemment, et compte tenu de la variété de nos passions diverses, qui toutes concourent au développement de nos capacités à exercer l’art de vivre de la manière la plus convenable, nous sommes ainsi invités à chercher à nous asseoir, de préférence sur une chaise assez haute pour éviter d’être confondu avec la masse des assis ordinaires.
Montaigne peut bien avoir remarqué avec un rien de sarcasme qu’au plus haut trône du monde nous étions toujours assis sur notre cul, il n’en reste pas moins qu’être ainsi posé est un grand plaisir, et que plus le trône est élevé, plus il peut être confortable, donc satisfaisant, révélant ainsi à ceux qui savent pousser la réflexion au-delà du bout de leur nez, que le grand idéal de l’homme, son ambition la plus profonde et la plus haute, c’est d’être bien assis sur son cul. Son espérance ultime consistant d’ailleurs à être assis définitivement au banquet du Royaume.
Il est dommage que Jacques-André Bertrand n’ait pas porté sa puissance d’analyse jusque-là, mais je crois que sa modestie l’en a dissuadé. C’est pourquoi je me permets de le faire à sa place, n’étant pas très attaché à cette paresse de s’asseoir par terre, car il est quand même nettement plus agréable d’être assis sur une chaise, ou même dans un fauteuil comme il s’en trouve quarante sous une certaine coupole, dont l’un ou l’autre se libère régulièrement. Si Jacques-André Bertrand pouvait s’y placer, il enseignerait à cette docte assemblée une manière nouvelle de défendre la langue française, tout en s’amusant avec espièglerie.
Car c’est bien cela dont il s’agit : la langue de Molière doit être défendue dans la joie que procure le fonctionnement créatif de l’esprit ! Jacques-André Bertrand est un maître incontesté dans ce domaine, et dans un certain nombre d’autres d’ailleurs, ainsi que le prouvera ce passage exemplaire :
Les fanatiques de toutes sortes de catéchisme sont avant tout des ignares. Tout terroriste est d’abord un ignare. Ignorant de la complexité de la vie. Ignorant de lui-même.
J’en parle à mes amies corneilles.
Elles ont table et chaise ouvertes sur mon petit balcon, au fond de l’impasse, ce qui n’est pas sans importuner certains voisins. En particulier un petit vieux acariâtre qui les menace de ses deux béquilles, au risque de se casser la figure. »
Bref, et puisque « la dépression est l’excuse souveraine de la grande paresse intellectuelle moderne », nous proposons de manière urgente et solennelle de rétablir la fessée à l’usage des hommes politiques les plus hypocritement attristés par l’état invraisemblable où ils ont mis la France, et plus particulièrement son trésor le plus précieux : notre langue.
Ces considérations, dont chacun appréciera la hauteur de vue, nous amènent à citer Pascal, qui écrivait : « Les hommes sont si nécessairement fous que ce serait être fou par un autre tour de folie de n’être pas fou. » Muni de cet apophtegme monacal, nous proposons sereinement à nos lecteurs de se procurer le dernier bouquin de Philippe Lacoche, Mise au vert (éd. du Rocher), qui est la suite affolante et affolée du Chemin des fugues, dont nous avons dit ici-même le bien que nous en pensions. Le journaliste Pierre Chaunier nous ramène dans son Vaugandy chéri pour y fomenter une hénaurme révolte de « Pantalons verts » contre le président Raphaël Tancron, inféodé à la haute finance.
Ça commence par la création d’un phalanstère à la Godin, ce qui est bien normal puisque le Vaugandy se trouve « toujours à l’ouest » de Guise, selon le regretté professeur Tournesol. On y monte un élevage d’Aurochs, animal prodigieux dont on tire tout ce qui est nécessaire à la bonne vie. On entretien l’ardeur révolutionnaire à la « jaunarde », cette boisson d’homme que les femmes absorbent tout aussi gloutonnement que les mecs, mais avec une délicatesse plus grande dans le coup de langue au palais qui conclut toute absorption de cette « Dive bouteille ».
Dans ce pays de Cocagne, on pratique la chasse à l’ours de manière charmante : on joue sur un tourne-disques à piles « Le ciel, le soleil et la mer » de François Deguelt, on dispose « tout près l’épouse ou la fille en tenue légère et affriolante », on attend que « le plantigrade, sensible, romantique, galant et mélomane » s’approche pour inviter « la femme ou la fille du chasseur à danser un slow », et il ne reste plus qu’à lui planter sournoisement dans le dos « un coup de poignard Ehrendolch », et à confectionner « des rillettes d’ours », ce qui n’est « pas particulièrement compliqué ».
Il va de soi que dans ce pays hautement civilisé, les chèvres peuvent se plaindre en justice d’avoir été harcelées sexuellement, ainsi qu’il arrive à Françoise, « une adorable chèvre anglo-nubienne, récemment nommée ambassadrice ». L’enquête sera rondement menée afin de punir le coupable. Il sera pour cela nécessaire d’interroger Jean-Paul, un cochon berkshire au « rocailleux accent anglais mâtiné de pakistanais », qui fera servir aux enquêteurs un verre d’absinthe par « une truie en nuisette de soie mauve » qui faisait « office de bar woman ».
Il y a aussi une belle histoire d’amour entre Chaunier et l’Orangée de Mars retrouvée, une femme que son tempérament porte au partage et à la gentillesse voluptueuse. Reconnaissons à cette occasion que l’auteur est doué d’un grand sens du réalisme, ce qui forme un joli contraste avec son côté fantaisiste. Bref, c’est exactement comme dans Tintin, Rabelais et Audiard : Philippe Lacoche nous raconte les histoires les plus incroyables avec un sérieux que l’humour mâtine de tendresse et de folie douce. Ce qui permet de faire une satire de l’hommerie contemporaine, qui dilate la rate – les connaisseurs penseront à Goscinny, celui d’Haroun El Poussah et Dilat Lahrat, précisément.
Le style de Philippe Lacoche se prête à toutes les aventures langagières. Je donnerai pour exemple ce portrait d’un parigot, « Jean-Noël Pipper-Ravier, une face de bobo en baskets, la nuque lestée d’une touffe de cheveux ramassés en cadogan ; il se rendait à son travail en trottinette. » Il s’agit évidemment d’un lâche accompli qui, interrogé « de manière virile, […] mort de trouille, lâcha le morceau » quant au violeur de Françoise, accessoirement fomenteur d’un complot dont vous découvrirez les tenants et aboutissants avec bonheur, car ce livre est aussi un vrai roman d’aventures, avec intrigue, suspension dramatique, émotions et tout le saint-frusquin de la bonne littérature à s’esbaudir les lobes cérébraux, hépatiques, et autres.