En effet, j’ai cherché vainement une réponse à cette angoissante question dans son nouveau recueil ; n’y rien trouver m’a mis dans une angoisse telle que j’allais oublier de vous donner le titre de ce volume : Les belles-mères sont-elles de droite ? et son sous-titre éclairant : Nouvelles considérations essentielles (éd. La Nouvelle Librairie). Il va de soi que j’ai placé ce petit volume de forte gravité sur ma table de travail, à côté de mes Platon et de mon Gascon le plus cher, Michel Eyquem. Car contrairement à ce que les gens légers pourraient penser, cette livraison nouvelle regroupant les chroniques parues dans L’Incorrect est de bon aloi, ou dit autrement : elle pèse bon poids métaphysique. Mais comme nos lecteurs attentifs ont déjà été prévenus, je vais me pencher sur un aspect moins souligné : le côté autobiographique de ces proses étincelantes.
Comment en effet ne pas reconnaître en ces réflexions bonhommes l’atmosphère spirituelle que l’auteur a humée dans sa jeunesse ? C’est celle de nos villages préservés avec leur café-épicerie, de nos quartiers ouvriers pittoresques aux bistrots chaleureux, de nos lavoirs à forte poitrine, de nos patronages à vicaires musclés, que leurs soutanes n’empêchent pas d’envoyer le ballon dans les buts. De chaque ligne s’exhale l’un ou l’autre de ces fumets surannés, au point qu’on se sent emporté incessamment vers un pays de merveilles, où le temps qui passe semble soudain s’immobiliser avec les santons de la crèche pour sourire à l’enfant-Dieu. Oui, on doit reconnaître avec l’auteur que tout ce qui est de droite est éternel, et par conséquent fleure bon l’enfance.
Il fait la louange très poétique de la confiture de mûres
Commençons ingénument par le premier texte. L’auteur nous y confesse fréquenter les quincailleries. Le voilà qui entre pour acheter un chausse-pied, préoccupation qui marque le goût de la belle chaussure de cuir ; on croit entendre les clochettes greloter sur la porte qui tremble ; oubliant néanmoins son dessein, il se met à fureter entre les étagères, cherchant des indices qui signaleraient une maison ancienne transmise de père en fils ; mais voilà qu’il tombe sur un produit de marque sulfureuse ; il raisonne là-dessus, et met le bordel de ses réflexions dans un magasin honnêtement commercial. C’est qu’il n’aime pas les commerçants qui ne cherchent qu’à hameçonner le client afin de lui soutirer de l’argent en l’engageant à acheter des objets diaboliques. Qui plus est, le voilà qui, écoutant l’âme paysanne qu’il tient de ses aïeux, se met du côté des bêtes, non pour les flatter sottement, mais pour qu’on les traite avec le respect exactement proportionné à ce qu’elles sont. Il s’érige alors en juge, et condamne la cruauté des indifférents. Que voilà un chaland sympathique! comme on aimerait en rencontrer un, si par chance on trouvait une quincaillerie de cette sorte-là ! on approuverait ses remarques, partagerait ses pensées, puis sortirait avec lui pour aller boire un verre.
Prenez le deuxième texte. Il fait la louange très poétique de la confiture de mûres, nous vantant celle qui est faite avec les mûres « cueillies une à une, au péril de nos mains. » C’est son enfance qu’il ressuscite avec un art délicieux, et il nous rend nos propres souvenirs, lesquels nous emplissent d’une douce nostalgie. Car, songeons-nous, qui aujourd’hui apprend la vie en combattant dans les ronciers ? Voilà pourquoi les gens de gauche sont légion, eux qui n’ont jamais combattu l’épine traîtresse pour atteindre la plus grosse mûre, eux qui ne savent pas que c’est une rude école que de faire des confitures avec les mûres qu’on a vaillamment cueillies en combattant sans fléchir ni perdre l’honneur.
On va sauter quelques méchancetés sur notre admirable président, oh ! des méchancetés feutrées, bien douces – celles qui, en vérité, sont les plus déchirantes. Ce qui nous permettra de rencontrer d’autres confidences autobiographiques, sur le torchon par exemple. Pour aimer le torchon avec cette vigueur, pour en parler avec cette tendresse, il faut être un homme de qualité. Pour le chanter avec cet enthousiasme communicatif, il faut être poète, un poète de cuisine à l’ancienne, où ne se trouve ni four à micro-ondes, ni lave-vaisselle, ni distributeur de papier essuie-tout, mais des cocottes, des lèchefrites, des enfants bergers qui s’initient par jeu à la marinade et à l’art de faire sécher le filet mignon. Bref, des cuisines où mijotent les familles gourmandes de chez nous, où l’on apprend que manger est un art, qui mêle aux savoir-faire une tendresse attentive, éducative.
Ce sont les enfants qu’on a fait à l’ancienne qui nous sauvent
J’espère vous avoir mis l’eau à la bouche, et je vous souhaite bon appétit, car tout est aussi succulent, à s’en lécher les doigts, ce qui aide à tourner les pages. On s’attriste sur le malheur des songe-creux de gauche, qui ignorent tous ces bonheurs – ou les ont oubliés, tant ils ont la mémoire « bouffée aux mites », selon la formule de mon aïeule paternelle. Mais Dieu qui les aime aussi leur a envoyé le covid et ses confinements divers et variés. Richard de Seze a bien compris la grâce faite ainsi aux Parisiens les plus encroûtés dans les misères du macronisme et de la gaucherie écolo-putassière, aussi nous raconte-t-il les découvertes de quatre Parisiens en exil (éd. La mouette de Minerve). C’est tout aussi autobiographique et savoureux.
Figurez-vous que Réginald, qui s’est fait déconstruire par une Quitterie très rousseauiste (on joue sur les noms, entre Jean-Jacques et Sandrine, laquelle est sur la couverture, comme vous verrez), Réginald a un ancien ami odieusement royaliste, Jean. Quand nos gouvernants bienveillants ordonnent le confinement, ces deux-là, avec les enfants qu’ils ont encore faits à la vieille escrime, Cerise et Mattéo, s’envolent vers la maison campagnarde que leur prête Jean, lequel est parti s’occuper de ses vieux parents, fidèle aux moeurs anciennes. Si je vous ai parlé de la manière dont on fait les enfants, c’est que ce sont ces petits qui vont sauver leurs parents de la privation de toute vie cognitive, ainsi que vaticinerait Maître Diafoirus. L’auteur sait, par conviction aussi bien que par expérience, que ce sont les enfants qu’on a fait à l’ancienne qui nous sauvent.
Parce que notre Créateur, qui n’est quand même pas aussi bête que le pensent ceux qui ne savent plus penser qu’en hoquetant, notre Créateur a mis dans les lois de la nature dont il est l’inventeur des grâces, qui s’y trouvent actives comme les applications dans nos ordinateurs, smartphones et autres machines mirifiques ; je veux dire que ce sont ces grâces qui agissent en permanence en arrière-plan, et nous permettent de ne pas crever, intoxiqués totalement par les fumées sataniques dans lesquelles nous errons à l’aveuglette. Il y a aussi un paysan du coin, Albert, que l’air pur agrémenté de bonnes odeurs d’étable a gardé en parfaite santé mentale. Celui-là, Quitterie croit le voir sortir de la vieille armoire d’un antiquaire odieusement genré.
Il porte en l’âme ces grâces mystérieuses qui en font un homme capable de faire encore son salut
Albert va très vite leur faire découvrir ce que sont de vrais légumes, de la vraie nourriture humaine, un vrai parler qui nomme les choses du monde avec exactitude. Auprès de lui, les enfants vont s’émerveiller devant la vie, les animaux, les richesses de la nature. Matéo devient vite incollable. Il y a aussi les livres incroyablement malsains de la bibliothèque de Jean, qu’ils vont dévorer. Reginald aussi va s’y mettre, car même « déconstruit » et incapable de débattre autrement qu’en lâchant un « oui, enfin, bon » qui lui sert à tout, il porte en l’âme ces grâces mystérieuses qui en font un homme capable de faire encore son salut. Et le salut commence par la découverte d’une vieille maison de hobereau et de l’art de faire du pâté avec des viandes menacées de perdition par un congélateur traître, pâté qu’on parfumera des plantes fraîchement cueillies pour l’occasion.
Tout cela, bien sûr, est autobiographique, pas comme les pédants gloseraient, mais comme quelqu’un qui lit un peu sérieusement le sait : il est inéluctable que tout ce qu’écrit un auteur soit autobiographique.
De même que Dieu reste en nous par les grâces dont il nous a constitué, la vie qu’on a menée et qu’on continue de vivre s’inscrit automatiquement dans ce qu’on écrit, fût-ce une satire, un conte ou une méchante blague. C’est ce qui fait que la littérature est une chose sainte malgré tout ce qui peut l’entacher, de même que l’homme le plus défiguré reste porteur d’un visage fait à l’image de Dieu. C’est pourquoi l’amour du prochain commence par un regard curieux d’observateur bien intentionné. Richard de Seze regarde ses Parisiens confinés, il les suit dans leurs mésaventures, et peu à peu, il fait réapparaître des traits de leurs vrais visages, qu’ils avaient masqués de laideurs idiotifiantes ; il nous raconte les événements providentiels qui les sauvent, à la condition qu’ils y soient attentifs, c’est-à-dire qu’ils cessent de les voir à travers les grilles aveuglantes de
leurs imbécillités, mais qu’ils les laissent paraître dans leur naïveté toute fraîche, toujours fraîche. Tout cela assaisonné d’esprit à la française, de coups de trique bien appliqués, gentiment, comme on doit corriger son prochain. Si alors il ne se sent pas aimé, eh bien ! courage : il faut taper encore, et encore, mais toujours avec délicatesse et inventivité, jusqu’à résipiscence.
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Les belles-mères sont-elles de droite ? Nouvelles considérations essentielles, Richard de Seze, La Nouvelle Librairie, 2025, 168 p., 14,90 €.
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Parisiens en exil, Richard de Seze, La Mouette de Minerve, 2025, 132 p., 11,50 €.
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