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Démons et merveilles

La tradition de l’horreur en littérature est ancienne, depuis le Satiricon de Pétrone jusqu’à l’explosion du romantisme noir, en passant par les histoires tragiques des XVIe et XVIIe siècles ; et cela continue, avec plus ou moins de bonheur ; moins avec les thrillers grouillants comme la vermine, plus avec les nouvelles d’Arnaud Bordes, Le quartier des antipodes (éd. Auda Isarn).

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Démons et merveilles

 

L’auteur ne cache pas ses sources romantiques, dont il pastiche quelques auteurs, dont il utilise avec gourmandise la thématique ; mais il montre aussi, en prolongeant ses incursions jusqu’au temps des deux grandes guerres, que si le goût de l’horreur plonge ses racines dans la nature humaine autant que dans la nature tout court, il trouve dans le monde contemporain un terreau particulièrement fertile. La construction du recueil est elle-même démonstrative, qui part de la tradition de la piraterie et remonte peu à peu jusqu’à nous.

Un premier volet regroupe les histoires qu’un policier, retiré d’un XVIIIe siècle s’achevant en pourriture, propose à un jeune écrivain qui termine un roman, lequel fait penser à l’abbé Prévost, et aussi à ces auteurs anglais amateurs de flibuste, comme Defoe ou Stevenson. L’atroce est aussi bien dans le décor, les usages étranges, que dans des finales abominables. Par la même occasion, l’auteur suggère quelques traits du métier d’écrivain, inventeur ou découvreur d’horreurs soigneusement mises en scène et en mots. Cette curiosité pour le destin des manieurs de la langue revient à la fin du recueil dans l’évocation de la dernière nuit peuplée de monstres de Gérard de Nerval, dans les derniers moments d’Alain Fournier sur la paille souillée, avec les soldats agonisants de la Grande Guerre. Dans le second volet, des coureurs de monde se retrouvent dans un bar qui donne son titre au recueil, Le quartier des antipodes, pour y jouer et boire, mais surtout pour proposer leur aventure la plus surprenante, ce qui fait penser à Jacques le fataliste pour la mise en scène, et à Moravagine de Blaise Cendrars pour le contenu. Bref, les réminiscences littéraires abondent, la qualité artistique est de mise, comme chez les auteurs évoqués.

Car s’il s’agit de plonger dans les enfers de cette vallée de larmes et dans ceux des âmes, que ce soit avec talent ; l’art et la manière justifient et ordonnent l’accumulation des horreurs, en bouquets de « fleurs du mal ». On en vient cependant à se demander si, comme chez Baudelaire, les enfers révélés ne seraient pas, plutôt que les figures embellies des troubles de la psyché, les manifestations du péché et de la possession diabolique. Sans que jamais la question ne soit ici clairement posée, on ne peut que penser à la manière dont Bloy, Bernanos ou Mauriac s’interrogeaient en sondant les puits peuplés de monstres de leurs héros. Le monde d’Arnaud Bordes reste, apparemment, de pure esthétique, et par là semble parcourir un des chemins perdus où le décadentisme, puis le surréalisme ont égaré bien des élégances chlorotiques.

 


 

Rien de plus rafraîchissant, après cette exploration des abîmes infernaux, que l’histoire que nous raconte Evelyne Dress dans 5 jours de la vie d’une femme (éd. Glyphe). À 70 ans, Éva se retrouve seule pour passer Noël ; elle décide de se payer une nuit dans un palace à Biarritz, au risque de ses économies. Là, tout n’est que luxe et volupté ; j’ai supprimé l’ordre et le calme de la beauté à dessein, car Éva connaîtra surtout le désordre de la chair et l’agitation des appétits. Mais qu’à cela ne tienne, elle veut vivre encore, et « collectionner les moments de bonheur » selon l’invitation de Stendhal. La vie cependant est pleine de surprises, et même, n’en déplaise aux grincheux, de surprises délicieuses. Il est triste d’être négligée, abandonnée pour les fêtes familiales, mais quand on a l’appétit de vivre de l’héroïne, c’est l’occasion de faire des étincelles, et de provoquer la chance. Une femme seule qui rayonne si fort le goût de la vie, ça attire ceux qui, comme Montaigne, « aime la vie, et la cultive comme il a plu à Dieu nous l’octroyer. » Alors paraît Sacha, un monsieur tout ce qu’il y a de bien, et même beaucoup mieux que cela, un véritable honnête homme égaré en plein vingt-et-unième siècle. Celui-là, on se demande de quel emballage cadeau il sort !

Pourtant, l’art d’Evelyne Dress nous le fait paraître avec tellement de naturel qu’on y croit, et qu’on a bien raison d’y croire. Parce que c’est la gentillesse qu’on montre aux gens rencontrés qui fait que l’on rencontre des gens délicieux. Éva est une personne délicieuse. Un peu fofolle sans doute, mais cela fait partie de son charme. Et si gentille ! tellement émouvante ! C’est un secret usé, on reconnaît la ficelle, mais qu’importe : on aime tellement les contes qu’on demande toujours qu’on nous les raconte à nouveau. À quoi bon bouder notre plaisir ? Evelyne Dress écrit comme elle est, primesautière, sensible, délicate, terriblement vivante. Son histoire nous enchante, on sourit en la lisant, et on rêve de croiser son héroïne quand on referme son livre, qui, par ailleurs, contient quelques perles en cadeaux supplémentaires : un extrait de la Lettre sur la sainteté d’un kabbaliste, puis quelques remarques sur la traduction du Livre de la sagesse. Parce qu’Evelyne Dress n’en a pas l’air, mais elle aime l’Absolu, et elle nous en parle aussi, l’air de rien. C’est pour cela que son livre nous saisit.

 


 

Une merveille pour finir : le petit volume de souvenirs de Philippe Herbet, Fils de prolétaire (éd Arléa). Philippe Herbet est un photographe belge reconnu internationalement. Il se révèle ici un écrivain de qualité, ainsi qu’un humaniste délicat, qui nous touche sans se donner de grands airs. Il a voulu rendre hommage à ses parents, et en faisant le portrait de ces gens simples, il nous invite à nous pencher sur les âmes de ceux qu’on a la mauvaise habitude de négliger. Il nous les rend familiers, nous fait redécouvrir des échantillons d’une humanité que la rumeur médiatique ignore superbement, et nous attacher à eux. Pour en parler, il a des trouvailles merveilleuses, dans une langue modeste, et cependant étincelante. « Ma mère est une jolie feuille de houx, un gentil lieu commun, une guimauve sentimentale. Ses humeurs filent comme feuille morte au vent d’automne. […] Ma mère est une rebelle, mais quand elle se rebiffe, elle est maladroite, toujours perdante en définitive. » Il est bon de savourer ces formules, si bien ajustées qu’elles résonnent de choses profondes, qui disent la modestie d’un destin sans le ridiculiser par des sottises psychologiques, avec la discrète tendresse de ceux qui savent prendre une main qui tremble. Cette femme qui fait des ménages a une amie vendeuse dans une boutique de lingerie, qui « manipulent avec un mélange de grâce et de sensualité » les pièces intimes qu’elle vend, tout en parlant « comme une petite pluie d’été ». N’avez-vous pas envie d’être là pour l’écouter ? 

Le père, qui rêvait d’être ingénieur et n’est que mécanicien dans l’usine « qui nourrit et dévore les habitants de toute la région », le père « est un fanatique doux de l’ordre et du rangement. Un objet qui n’est pas rangé est voué à disparaître. » Plus tard, quand il aura du temps, il lira consciencieusement les Trésors de la littérature russe achetés par son père à un bonimenteur de passage, 20 pages par jour, sans jamais en sauter une, parce que « sauter une page, c’est pareil à une désertion ou à une trahison. » 

Philippe Herbet raconte bien sûr son premier appareil photo, qui lui permet de découvrir « l’étrange beauté sise sous l’apparente laideur de notre banlieue. » Il raconte l’apparition de la société de consommation, cette petite fièvre qui saisit tout le monde et sous l’effet de laquelle « un désir de pacotille remplace l’autre » incessamment, tandis que les nouvelles merveilles de l’électroménager dégagent « un parfum entêtant de fleurs vénéneuses », diaboliques. Il raconte ses voyages « vers l’Est », qui étonnent sa famille ; il se justifie ainsi : « la photographie est un prétexte à la fugue ou à la fuite », parce que « là-bas dans ces ‘‘bouts du monde’’, comme notre banlieue l’est aussi, je revis, avec la même intensité, des temps forts de l’enfance. » Il raconte les crises du couple de ses parents, avec une discrétion maligne qui en fait des rêves bizarres. Il raconte ses départs, ses éloignements, qui restent des aventures vaines, puisqu’on revient toujours à son enfance. Philippe Herbet le dit en photographe, et en poète : « Lorsque j’aperçois à la dérobée mon visage dans le reflet d’une vitrine ou d’un miroir, je vois une image flottante où les traits de ma mère ont revêtu les miens. […] Je cligne des yeux, change l’angle de vue, remue la tête, c’est elle que je regarde. » Voilà de ces effets merveilleux, quasi magiques, que l’auteur nous prodigue avec la brassée de ses souvenirs.

 

  • Le quartier des antipodes, Arnaud Bordes, Auda Isarn. 122 p., 15 €
  • 5 jours de la vie d’une femme, Evelyne Dress, Glyphe. 153 p., 15 €
  • Fils de prolétaire, Philippe Herbet, Arléa. 77 p., 15 €

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