Editoriaux
Un espoir, le roi
Nous avons envoyé ce journal à l’imprimeur quelques heures avant de savoir qui, de Trump ou de Harris, serait président des États-Unis.
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Dénonciation sans complexe du politiquement correct, le trumpisme est un humanisme.
Donald Trump est décidément un homme précieux. Nous en avons encore la preuve en ce moment avec la polémique – déclenchée à son initiative – qui l’oppose à un groupe de représentantes démocrates d’extrême-gauche. Le président des États-Unis est un homme précieux car, jour après jour, tweet après tweet, il ose dire tout haut ce que le politiquement correct défend de dire. Il est pratiquement le seul homme politique de premier plan à oser le faire en Occident (Orban et Salvini sont peut-être ceux qui s’en approchent le plus actuellement).
Il le fait sans jamais s’excuser ni reculer. Et lorsque ses adversaires politiques, la presse quasiment unanime, son propre camp même, essayent de le discréditer en le taxant de « racisme » ou autres gentillesses de ce genre, il rajoute encore une couche de propos offensants. Trump n’est jamais sur la défensive. Il attaque, toujours, partout. Jamais de pause, jamais de compromis, jamais d’armistice dans la guerre qu’il livre au politiquement correct.
Le politiquement correct est le bras armé du multiculturalisme, ou de l’idéologie diversitaire, pour reprendre le mot de Mathieu Bock-Coté. Or, poussé au bout de sa logique, le multiculturalisme signifie, purement et simplement, la mort de l’Occident : mort de la raison, mort de la nation, mort de la liberté politique, mort de tout ce qui a fait notre richesse intellectuelle et spirituelle. Donald Trump est donc pratiquement le seul homme politique occidental de premier plan qui défende l’Occident, non pas du bout des lèvres, non pas en entourant cette défense de réserves et de nuances, mais entièrement, sans hésitation ni doute apparent, comme si cette défense allait de soi.
Mais cette manière de présenter les choses est encore inférieure à la réalité. Je l’ai dit, Trump ne connait pas la défensive. Sa défense de l’Occident est donc à proprement parler une offensive, une attaque directe, brutale : elle est l’affirmation non pas d’une innocence mais d’une supériorité. Trump ne se contente pas de dire que l’Occident est innocent des crimes qui lui sont imputés, il affirme, sans ambage, la supériorité de la civilisation occidentale sur toutes les autres. De manière appropriée, cette défense de l’Occident se présente sous la forme de l’apologie d’un pays en particulier, son pays, les États-Unis, car la vitalité de l’Occident et le génie de la liberté politique qui lui est propre sont inséparables de sa division en nations jalouses de leur indépendance, et parfois rivales.
Donald Trump apparaît d’abord et avant tout comme un patriote. Et un patriote, au plein sens du terme, n’est pas seulement quelqu’un qui aime le pays dans lequel il est né, c’est aussi quelqu’un qui est convaincu au fond de lui-même que l’on vit mieux en cet endroit de la terre que n’importe où ailleurs. Trump affirme donc à chaque fois qu’il en a l’occasion que les États-Unis sont un grand pays, en fait le plus grand pays que la terre ait jamais porté. Les États-Unis peuvent perdre temporairement cette grandeur, sous l’effet notamment de mauvais gouvernements, mais elle leur appartient pour ainsi dire de droit. Ce pourquoi son slogan de campagne proposait de « rendre » sa grandeur à l’Amérique. L’Amérique, selon Trump, est essentiellement grande, même si elle peut être accidentellement petite.
Mais cette apologie tonitruante d’une nation particulière revient à une apologie de l’Occident, car ce qui rend l’Amérique plus grande que toutes les autres nations, c’est qu’elle applique mieux que les autres les « découvertes » qui caractérisent la civilisation occidentale. Et en faisant l’éloge de son pays, Trump défend inévitablement l’idée même de nation. Par son patriotisme flamboyant, il légitime implicitement le patriotisme de tous les autres peuples.
Nous pouvons être en total désaccord avec Donald Trump sur le fait que l’Amérique soit la plus grande nation que la terre ait jamais portée, mais nous lui sommes tous redevables d’oser exprimer ce sentiment alors que tout concourt à rendre le patriotisme anathème. Comme l’a dit fort justement un observateur américain : « Les qualités de Trump sont son courage, son bon sens, et sa rhétorique. Il va à l’essentiel, à ce dont personne d’autre ne parlera de peur d’être traité de “raciste” ou de “fasciste”, ou d’une autre de ces injures qui excitent la foule des lyncheurs vertueux. » Ces qualités sont cruciales, indispensables, dans le contexte politique actuel. Toutefois elles ont aussi leurs limites.
Trump a les défauts de ses qualités. Parce qu’ils sont ceux d’un guerrier, qui considère que l’attaque est la meilleure défense, ses propos sont souvent brutaux. Parce qu’ils sont ceux d’un homme qui, à juste titre, méprise la classe des intellectuels et plus généralement la classe jacassante, ses propos sont souvent mal dégrossis. Ils contiennent souvent des vérités précieuses, mêlées à beaucoup de scories qui parfois peuvent les occulter. Trump ne s’embarrasse pas de nuances ni d’explications, et peut-être d’ailleurs n’est-il pas vraiment capable de fournir des explications approfondies. On peut difficilement être à la fois le roi du tweet et un maître de la dialectique.
Pourtant les explications sont aussi nécessaires pour gagner durablement les esprits et transformer des victoires rhétoriques temporaires en gains politiques plus durables. Et le tempérament bagarreur qui peut séduire une partie de l’opinion publique risque aussi, à la longue, d’en rebuter d’autres segments, tout aussi considérables, et pour des raisons qui sont loin d’être entièrement mauvaises. Bref, il ne suffit pas de se battre. Pour gagner ce genre de combat il faut aussi être apte à expliquer pourquoi sa cause est juste. Autrement dit, Trump aurait besoin de gens qui soient capables d’assurer régulièrement son service après-vente. Pour nous en persuader, il suffit d’examiner l’une des dernières polémiques en cours.
Celle-ci a commencé lorsque le président des États-Unis a tweeté la chose suivante : « Il est tellement intéressant de voir des élues “progressistes” démocrates du Congrès, qui à l’origine venaient de pays dont les gouvernements sont des catastrophes sans mélange, qui sont les pires, les plus corrompus et les plus ineptes au monde (à supposer même qu’ils aient seulement un gouvernement qui fonctionne), venir maintenant expliquer bruyamment et perfidement au peuple des États-Unis, la plus grande et la plus puissante nation du monde, comment son gouvernement devrait fonctionner. Pourquoi ne retournent-elles pas dans ces endroits totalement défaillants et infestés par la criminalité dont elles viennent pour aider à les remettre en état ? Elles pourraient ensuite revenir et nous montrer comment il faut faire. Ces endroits ont vraiment besoin de votre aide, il faut y aller au plus vite. Je suis sûr que Nancy Pelosi sera très contente d’organiser sans délai des voyages gratuits. »
Les élues auxquelles Trump fait allusion sont essentiellement quatre : Alexandria Ocasio-Cortez (New York), Ilhan Omar (Minnesota), Ayanna Pressley (Massachusetts) et Rashida Tlaib (Michigan). Ces quatre femmes sont rentrées au Congrès à l’occasion des dernières élections, en 2018. Ce qui les rapproche est, d’une part, leurs positions politiques, très à gauche au sein d’un parti Démocrate qui s’est lui-même continuellement déporté vers la gauche depuis les années 1960. Et d’autre part, pour trois d’entre elles, qu’elles sont des femmes « de couleur » dont la famille est arrivée récemment aux États-Unis : Rashida Tlaib est fille d’émigrés palestiniens, Ilhan Abdullahi Omar est originaire de Mogadiscio et a obtenu le statut de réfugié politique aux États-Unis en 1995, Alexandria Ocasio-Cortez, la plus connue des trois, a une mère portoricaine et un père dont les parents étaient portoricains. Par leur statut revendiqué de « porte-parole des minorités visibles » et par leurs opinions politiques d’extrême-gauche, ces quatre nouvelles élues sont très représentatives de la frange la plus dure du parti Démocrate, la grande question étant de savoir si cette frange dure, c’est-à-dire ouvertement multiculturaliste et socialiste, ne va pas devenir purement et simplement le parti Démocrate. Leur proximité idéologique est d’ailleurs attestée par le fait qu’elles ont constitué un groupe informel, nommé « The Squad », dont le but non avoué, mais très clair, est de prendre à terme la tête de leur parti.
À travers elle, Trump a donc ciblé précisément la pointe avancée du multiculturalisme. Sans les nommer expressément, il s’en est pris aux gardiennes les plus féroces du dogme diversitaire. Comme souvent, la saillie trumpienne a provoqué une consternation mal déguisée dans son propre camp, pour des raisons essentiellement mauvaises. Tout le monde s’est empressé de faire remarquer que ces quatre femmes ne viennent pas « d’ailleurs » puisque trois d’entre elles sont nées aux États-Unis. Qu’elles n’ont donc pas « d’autre pays » dans lequel elles pourraient aller. Et que par ailleurs il était inadmissible de dire à une réfugiée politique qu’elle devrait « retourner chez elle ». Mais ce genre de réaction revient à regarder obstinément le doigt qui montre la lune. Ce qu’a dit Donald Trump n’est sans doute pas d’une exquise précision linguistique, mais la pensée ou plutôt les pensées qu’il voulait exprimer sont parfaitement claires pour n’importe qui ayant un minimum de lucidité et de bonne foi. En ces quelques lignes de tweet, Donald Trump a rappelé trois choses simples et très importantes.
D’abord, il existe bien des pays « merdiques » (shithole), pour reprendre une autre expression trumpienne. Ces pays sont « merdiques » non pas à cause de la couleur de peau des gens qui y vivent mais parce que ces peuples ont à leur tête des gouvernements corrompus, inefficaces, despotiques, parce que la criminalité y fait rage et que le niveau de vie y reste désespérément bas. Porto-Rico, la Somalie et la Palestine sont en effet de très bons exemples de pays particulièrement « merdiques ». Les pays « merdiques » sont ceux dont les gens émigrent s’ils le peuvent, pour se diriger vers des pays où il fait bien meilleur vivre. Il existe donc d’un côté les pays merdiques et de l’autre les pays qui font rêver ceux qui vivent dans des pays merdiques. Au premier rang de ces pays qui font rêver se trouvent les États-Unis. Les gens viennent du monde entier pour s’installer aux États-Unis, alors que personne ne se bouscule pour s’installer en Somalie, à Porto-Rico ou en Palestine. Autrement dit, Trump a rappelé à « The Squad » qu’il existe une hiérarchie objective des régimes politiques, par conséquent aussi une hiérarchie objective des civilisations, et que les États-Unis sont en haut de cette hiérarchie, comme le prouve incontestablement le parcours familial de trois des membres du « Squad ». D’où le rappel, parfaitement approprié, de l’origine étrangère de ces trois femmes.
D’autre part les États-Unis sont un pays libre (à la différence des pays « merdiques »), ce qui signifie notamment qu’il est toujours possible de quitter les États-Unis, en emportant ses biens, pour s’installer ailleurs si l’on estime que l’herbe y est plus verte. Dans les pays gouvernés tyranniquement cette liberté n’existe pas. On ne peut donc pas présumer que ceux qui y vivent ont envie d’y vivre. En revanche, celui qui vit aux États-Unis est présumé être raisonnablement satisfait du régime dans lequel il vit. Celui qui ne cesse de dénoncer les États-Unis comme un pays essentiellement raciste, oppressif, criminel, etc. mais qui persiste à y vivre, est nécessairement un hypocrite ou un lâche. Tout particulièrement s’il profite dans le même temps des possibilités offertes par ce régime pour s’élever aux plus hauts postes d’honneur et de responsabilité.
Il découle du deuxième point qu’être Américain ne signifie pas seulement avoir une carte d’identité américaine mais implique d’être loyal envers les États-Unis. Être loyal envers un pays signifie considérer que son sort personnel est indissolublement lié à celui de la nation tout entière, c’est faire allégeance de manière exclusive à cette communauté politique particulière et considérer que celle-ci est essentiellement bonne. La loyauté est donc compatible avec la critique, y compris la critique sans concession, du gouvernement de son pays, avec la reconnaissance des fautes passées de sa nation, elle n’est pas compatible avec la conviction que cette nation est irrémédiablement mauvaise, que son histoire n’est qu’une longue suite de crimes, que ses principes fondamentaux de gouvernement sont injustes, et que le monde se porterait mieux sans elle. Autrement dit, l’Amérique, tu l’aimes ou tu la quittes. Ce qu’a résumé Trump en répondant aux accusations de « racisme » suite à son tweet : « Ce groupe de quatre personnes […], elles se plaignent constamment […] Ce sont des gens qui haïssent notre pays. Elles lui vouent une haine viscérale. Elles peuvent partir si elles veulent. »
Mérites de la brutalité. À quoi on pourrait ajouter une quatrième leçon, qui est une leçon de bon sens : la critique est aisée, l’art est difficile, surtout l’art politique. Vous, mesdames, qui n’arrêtez pas de critiquer l’Amérique, qui êtes perpétuellement indignées de ce que sont les États-Unis, qui par conséquent critiquez perpétuellement le gouvernement américain, pourquoi ne nous montrez-vous pas vos talents en matière de gouvernement ? Vos critiques présupposent qu’il serait possible de faire beaucoup mieux et que vous savez comment faire beaucoup mieux. Montrez-nous ce qu’il en est. Prouvez-nous que vos critiques sont le fruit d’un vrai savoir et d’une vraie compétence, et non pas la conséquence de votre totale ignorance de ce que signifie gouverner un pays et de vos conceptions politiques chimériques. Voilà, en substance, ce que contenait la charge de Trump contre « The Squad ». Une charge, on le voit, parfaitement justifiée et hautement nécessaire.
En les attaquant Trump a, une nouvelle fois, allègrement piétiné nombre d’interdits édictés par le politiquement correct : 1. Il a attaqué des femmes 2. Il a attaqué des femmes « de couleur » 3. Il a affirmé que la vérité existe 4. Il a affirmé qu’il est possible d’établir une hiérarchie objective des régimes politiques 5. Il a affirmé que les Américains sont fondés à attendre des nouveaux-venus qu’ils ne contentent pas de respecter les lois du pays mais qu’ils en adoptent aussi les mœurs, à commencer par un patriotisme sourcilleux. C’est beaucoup pour un tweet, et c’est même assez remarquable.
On pourrait bien sûr regretter que Trump, plutôt que de produire des tweets rageurs, ne fasse pas de grands discours à la Lincoln dans lesquels il rappellerait aux Américains les principes fondamentaux de leur gouvernement, dans lesquels, en somme, il expliquerait posément ce qu’il se contente de sous-entendre dans ses saillies verbales ou sur les réseaux sociaux.
On peut regretter bien des choses au sujet de Donald Trump. Seulement voilà, presque au même moment, en France une vidéo circulait sur Twitter dans laquelle un supporter de l’équipe de foot algérienne affirmait : « Regarde, regarde, filme tout autour de toi. Il y a des Algériens, il y a des Tunisiens, il y a des Marocains, il y a des Sénégalais. Il n’y a pas une bagarre, il n’y a pas une embrouille, il n’y a rien qui brûle. On n’est pas des Gilets jaunes, on n’est pas les black blocs. On est là, et on restera là. On est Français, on est nés en France, mais on reste Africains, et on va rester là. » Et il ajoutait : « On a pris Paris en trois heures, plus vite que les Allemands. » Ce genre de sentiments, on le sait, est très répandu au sein d’une certaine jeunesse nominalement française mais dont le cœur et la loyauté sont manifestement ailleurs.
Y-a-t-il eu un seul homme politique français de premier plan pour réagir comme Donald Trump l’aurait fait ? Y a-t-il eu un seul homme politique français de premier plan pour répondre à cette attaque contre la France ? Y a-t-il eu un seul homme politique français de premier plan pour réagir à l’occasion de ces émeutes et rappeler les points fondamentaux que j’ai énumérés précédemment, dans un tweet ou dans un discours, peu importe ? À ma connaissance, même Marine Le Pen s’est contentée de protester contre les dégradations matérielles. Personne. Rien. Nada. Alors oui, certes, on peut regretter bien des choses au sujet de Donald Trump, à commencer par le fait qu’un tel homme soit devenu nécessaire, mais moi, mon plus grand regret, c’est que nous n’ayons pas un Donald Trump.