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Daudet, intelligent et sensuel

Anne Le Pape a fait sa thèse sur Léon Daudet critique littéraire : on sait assez à quel point l’écrivain et le polémiste savait repérer les talents les plus inattendus, les plus inouïs, au sens propre, les plus éloignés, parfois, de son propre style et de ses idées politiques : Proust, Morand, Céline, Kessel… Et Henry James, Shakespeare, Stevenson, Ronsard, qui « doit être lu en plein air ».

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Daudet, intelligent et sensuel

Anne Le Pape, qui a lu tout Daudet, et bien d’autres, ne se contente pas de célébrer le flair de son héros, elle nous fait comprendre la méthode du critique. Léon Daudet ne prend pas feu et flamme pour tel ou tel par pure et spontanée combustion, il traque dans les œuvres qu’il lit une vérité humaine et physique, l’incarnation de l’intelligence, ce point où le charme du rythme, la splendeur des images, la finesse de l’analyse, la précision des mots, nous font toucher, sensuellement, pour ainsi dire, le monde sensible. On ne s’étonnera pas que l’académisme l’ennuie et même le révulse, que les généalogies artistiques l’ennuient (il passera son temps à rapprocher un antique ou un moderne d’un contemporain), qu’il ait toujours préféré, comme il le dit dans Mes idées esthétiques, « un effort d’émancipation même absurde. Ce qui est le cas de l’anarchie face à une règlementation prohibitive » : on sent bien le bouillonnant polémiste, incapable de n’être pas sincère, entier, et donc “vrai” (d’où son amour du langage parlé et sa célébration « du gros mot, du terme cru »). Mais là où le journaliste politique tape, frappe et pourfend, le critique se fait chasseur attentif des musiques intérieures originales, quitte à sacrifier les compagnons de route qui jouent faux, comme Gyp, qui lui donne des coliques néphrétiques (sic !), ou à célébrer un Hugo « grand poète et penseur nul » (Léon, né en 1867, fut élevé dans la vénération de Victor, on lui pardonnera donc de le trouver bon poète, et d’autant plus qu’il se déprit progressivement de Zola). Daudet critique ingurgite les œuvres des autres en Pantagruel avisé, s’en nourrit, s’essuie les lèvres sur Anatole France qui produit de « la niaiserie ornée », cuisine lui-même ses critiques en forme de pastiches ou de promenade hallucinée (Le Voyage de Shakespeare, paru en 1896), peint l’œuvre à travers les portraits qu’il dresse des auteurs. On n’en finit pas de redécouvrir Daudet sous la plume de sa commentatrice qui nous fait admirer son art, nous fait comprendre ses admirations, bref se comporte elle aussi en véritable médiatrice et réussit à nous assoiffer de Daudet en nous partageant ses éloges de Céline et en dressant un lumineux parallèle avec Barbey.

 

Anne Le Pape, Léon Daudet, critique littéraire. Éditions de Flore, 270 p., 10 €

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