Civilisation

Une odyssée à travers les mers de Jules Verne
Des eaux émergent les contours d’un être hybride, à mi-chemin entre créature animale et engin sous-marin.
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Voici quelques années, François Schuiten, cocréateur avec Benoît Peeters des Cités Obscures, avait annoncé ne plus souhaiter illustrer de bandes dessinées.
C’était après la parution de son Blake et Mortimer, Le dernier pharaon. Il dérogea à la règle pour achever le second tome d’Aquarica, une bande dessinée fantastique créée avec le regretté Benoît Sokal, décédé avant d’achever le dessin de cette histoire. Depuis, Schuiten se consacre à l’illustration : un livre illustré sur Le retour du capitaine Nemo, avec son complice Benoît Peeters, un très beau petit livre d’illustrations sur son chien disparu, Jim. Des projets de statues, de concerts, de performances artistiques… La nouvelle phase de la carrière du dessinateur semble désormais être bien identifiable.
Dans sa nouvelle œuvre, publiée chez Dargaud, François Schuiten illustre un court roman de science-fiction d’Adam Roberts. Cet écrivain est peu connu de nos régions… mais son travail correspond à merveille à l’univers graphique de Schuiten, que l’on n’attendait pas cependant sur une histoire d’anticipation telle que celle-ci – Les Cités Obscures et ses œuvres précédentes avec Claude Renard ou avec son frère Luc Schuiten étaient quand même très proches de ce qui allait devenir le quotidien de François Schuiten, à savoir l’exploration inlassable du Monde obscur. Avec Compulsion, Schuitten et Roberts nous plongent dans un univers où l’ordinaire bascule dans l’étrange, où le quotidien se laisse submerger par un fléau inexplicable : la « compulsion ». Ce phénomène mystérieux, survenu sans prévenir, transforme des individus ordinaires en « obligés », prisonniers du besoin irrépressible de déplacer des objets.
Vida, l’héroïne de cette histoire, exerce un métier aussi inédit qu’indispensable : travailleuse de proximité auprès de ces victimes de l’irrésistible. Son rôle ? Apaiser, conseiller, mais aussi aider ces êtres tiraillés entre leurs compulsions et les normes d’une société qui ne sait plus comment gérer leur comportement. Car ces « obligés » ne se contentent pas de petites manies : ils volent, déplacent et accumulent des objets dans des lieux improbables. Les structures qui en résultent, aussi colossales qu’incompréhensibles, surgissent aux quatre coins du monde, évoquant des mécaniques endormies ou des totems modernes échappant à toute logique.
Schuiten, maître du dessin architectural, sublime ces scènes chaotiques en leur conférant une beauté inquiétante. À travers ses illustrations, le lecteur contemple ces édifices insolites qui semblent témoigner d’une force collective aussi inexplicable qu’instinctive. Le texte d’Adam Roberts, quant à lui, tisse une toile narrative où se mêlent critique sociale et questionnements sur le libre arbitre. Mais derrière le spectaculaire et l’étrange, ce récit explore des thématiques profondément humaines : comment réagit une société face à l’irrationnel ? Que devient l’individu lorsqu’il est prisonnier d’une pulsion qui le dépasse ? Et surtout, comment concilier compassion et ordre public ?