On doit à Jacques Villemain, diplomate et juriste, deux ouvrages fondamentaux sur les crimes de la République : Vendée, 1793-1794, étude juridique parue en 2017 sur l’extermination des Vendéens dont l’analyse serrée concluait au génocide, et Génocide en Vendée (2020) qui reprenait l’analyse et s’interrogeait sur les raisons pour lesquelles les historiens français, sans parler des politiques, en repoussent avec colère les conclusions. Avec cette Histoire politique des colonnes infernales, l’auteur élargit son champ.
Il ne s’agit plus seulement de constater les dizaines de milliers de victimes exécutés sur ordre, et de qualifier ce massacre, il s’agit de comprendre comment une expédition d’une férocité inédite a pu être décidée, planifiée et menée. Pour le dire autrement, comment, en partant des idéaux de liberté et d’égalité, en arrive-t-on à monter des colonnes infernales ? Comment devient-on un État terroriste ?
Il est évident que Jacques Villemain ne s’inscrit pas dans l’histoire officielle, jacobine, pour qui la Révolution est la matrice sainte de la République actuelle. Le récit qu’il nous donne suit trois lignes. D’abord, comprendre comment le camp révolutionnaire envisage cette guerre civile comme une légitime extermination radicale (Babeuf : « il était prescrit de tout tuer, tout brûler ») ; ensuite, analyser la chaîne de commandement, très solide, et sans cesse renforcée par les Représentants en Mission inspirant une sainte terreur aux militaires ; enfin, contester une histoire (encore) écrite par les vainqueurs, niant et justifiant tout à la fois la Terreur et se lançant dès le 9 thermidor dans la falsification des faits. L’enquête est passionnante car l’auteur, tout à la fois familier des archives, du langage juridique mais surtout, en tant que diplomate, de la pratique de l’État, sait évaluer la portée réelle des ordres, contrordres et décisions prises ou simplement proclamées sans être suivies d’effet.
Un travail neuf et prodigieux
Si les détails, minutieusement exposés sans lasser, et même avec une ironie bien venue, sont stupéfiants (ordres d’affamer, ordres de déporter, ordres de détruire, ordres de massacrer, zones de “tir à vue” qui font songer à Gaza aujourd’hui, avec une armée si richement bardée de règlements moraux), c’est l’acharnement et l’unanimité politique dans la conduite de l’extermination qui étonnent, dans un premier temps, avec des exhortations constantes à l’efficacité la plus fatale, puis dans un second temps la réécriture minutieuse de tout l’épisode juste après la chute de Robespierre, avec la même minutie et la même unanimité. Villemain analyse précisément la distances entre les papiers, rédigés et expédiés au fil de l’eau, et qui auraient dû rester secrets, et les rapports, postérieurs, plaidoyers pro domo des assassins. C’est un travail neuf et prodigieux car exhumer et critiquer ces sources jette une lumière très particulière sur l’historiographie officielle de la guerre de Vendée, très bien analysée dans le chapitre XIII, consacré à « la construction du discours robespierriste-thermidorien » et dont les neufs lignes de défense ne varieront plus jamais jusqu’à nos jours : entre autres, arguer de l’absence de preuves écrites (mais justement…), décrédibiliser les preuves testimoniales, dénaturer les faits, exciper de la « pureté des intentions », oublier sous prétexte de réconcilier, proclamer la légalité des atrocités. Une somme qui aboutit forcément à se poser la question de la légitimité de cette République brandissant la liberté pour mieux annihiler les citoyens. Quelques régimes plus tard, les lecteurs sauront-ils enfin considérer les origines honteuses du pouvoir actuel ?
Jacques Villemain, Histoire politique des colonnes infernales. Avant et après le 9 thermidor. Éd. du Cerf, 2023, 528 p., 35 €.
Un deuxième volume, Papiers et rapports (Cerf, 2023, 372 p., 45 €), est le dossier documentaire du premier, l’auteur publiant et commentant l’essentiel des textes antérieurs et postérieurs à la chute de Robespierre.