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Cinq vents à l’opéra

L’ensemble canadien Pentaèdre rend un sympathique hommage au monde de l’opéra en réunissant des pièces purement instrumentales de compositeurs lyriques italiens.

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Cinq vents à l’opéra

Fondé en 1985, Pentaèdre se compose d’artistes aguerris : Ariane Brisson (flûte), Élise Poulin (hautbois), Martin Carpentier (clarinette), Louis-Philippe Marsolais (cor) et Mathieu Lussier (basson), dont la discographie chez ATMA Classique compte une quinzaine de titres. Leur virtuosité et leur complicité leur ont valu la reconnaissance du public et de la critique, tant au Canada qu’à l’international.

Les fantaisies sur les opéras à la mode inondèrent le XIXe siècle. Pentaèdre se plonge dans l’univers foisonnant du répertoire italien à travers des œuvres qui témoignent de l’évolution de la facture des vents et de la naissance du quintette moderne. Leur sélection s’articule autour de Rossini auquel s’adjoignent deux compositeurs italiens aujourd’hui relativement oubliés.

Opéra sans paroles

Une adaptation de La Cenerentola de Gioacchino Rossini (1792-1868) réalisée par le clarinettiste et compositeur allemand Ulf-Guido Schäfer nous est servie en plat de résistance. On reconnait avec plaisir la canzone de Don Magnifico « Miei rampolli feminini » et l’aria de Don Ramiro « Si ritroverla io giuro ». À défaut de briller d’originalité, c’est un morceau flatteur et les instrumentistes s’en donnent à cœur joie.

L’intérêt du disque réside surtout dans la découverte de deux autres musiciens italiens qui eurent leur heure de gloire au cours du XIXe siècle. Tout d’abord Giuseppe Maria Cambini (1746-1825). Livournais de naissance, il s’installa à Bologne à 17 ans afin de suivre les leçons de contrepoint du Padre Martini. Trois ans plus tard, il partit pour la cité parthénopéenne. Grimm rapporte que « s’étant embarqué à Naples avec une jeune personne dont il était éperdument amoureux et qu’il allait épouser, il fut pris par des corsaires et mené captif en Barbarie » Racheté à un renégat espagnol par un négociant vénitien, il retrouva la liberté et arriva enfin à Paris en 1770. Avec l’appui de l’ambassadeur de Naples, il se fraya rapidement un chemin dans le monde musical et imposa son style attrayant au Paris mondain.

Créateur prolifique (plus de 600 partitions imprimées !), il nous a laissé : 14 opéras, des ballets admirés par Gluck, 110 quintettes à cordes, 30 sonates, etc. Ses symphonies concertantes, dont seules 51 nous sont parvenues, et ses 149 quatuors lui procurèrent ses plus grands succès. La densité de ceux dédiés au naturaliste Étienne de Lacépède en 1804-1806 se rapproche de l’esprit de Mozart et du premier Beethoven. « Sa fécondité fut d’autant plus remarquable qu’il passait la plus grande partie des jours et des nuits au cabaret, employant d’ailleurs une partie du temps où il était à jeun à donner des leçons de chant de violon et de composition ». Membre de La Société Olympique, il rencontra le frère Mozart lors de son troisième séjour parisien en 1778. Sous le coup de l’irritation, Wolfgang prétendit que Cambini empêcha l’exécution de sa Symphonie concertante aux Concerts Spirituels (Lettre du 1er mai 1778). Accusation infondée si l’on s’appuie sur le témoignage d’autres compositeurs comme Gluck, qui le recommanda souvent comme un être d’une honnêteté absolue.

Au début du XIXe siècle, Cambini publia des articles dans l’Allgemeine musikalische Zeitung et les Tablettes de Polymnie, jusqu’en 1811, date à laquelle nous perdons sa trace. Michaud affirme qu’il décéda aux Pays-Bas en 18181, tandis que Fétis parle de son douloureux et tragique internement à l’hospice de Bicêtre, où la mort l’attrapa en 1825.

Dans le texte de présentation de l’enregistrement, Ariane Brisson indique : « sont publiés en 1802 ses Trois quintettes concertants op. 4 pour quintette à vent. Ceux-ci représentent les toutes premières œuvres écrites pour cette nouvelle formation […], d’où leur valeur inestimable. Ils précèdent de peu les vingt-cinq quintettes d’Anton Reicha [1811] et les neuf quintettes de Franz Danzi [1821], plus fréquemment entendus. » Des premiers quintettes à vent de notre histoire musicale, c’est le deuxième, en ré mineur, qui ouvre l’album, sans qu’aucune explication sur ce choix ne soit fournie dans le livret. Sorte d’étude en forme de sonate, l’œuvre reflète une écriture classique et ciselée où le contrepoint soigné souligne chaque partie instrumentale. Le style concertant qui fit sa renommée est perceptible dans l’Allegro expressivo initial. Le Larghetto sostenuto en si bémol chante avec nostalgie avant un dynamique Presto conclusif. Comme nous aurions aimé plus de contraste et de fantaisie de la part des musiciens de Pentaèdre ! L’Avalon Wind Quintet avait gravé chez Naxos en 1996 une version plus fouillée, plus limpide et plus enthousiasmante.

Le Paganini de la flûte

Giulio Briccialdi (1818-1881), originaire de Terni dans les états pontificaux, fut un virtuose et pédagogue de la flûte. Après la mort de son père qui lui inculqua ses premières leçons, il gagna de l’Académie nationale Sainte-Cécile à Rome d’où il sortit diplômé à l’âge de quinze ans. Il y enseigna la flûte en 1835. Peu après, à Naples, il devint professeur du comte de Syracuse, frère du roi Ferdinand. Il entama une brillante carrière de flûtiste virtuose en Italie et dans le reste de l’Europe à partir de 1841 avant de se fixer à Londres puis à Florence en 1870 où il professa au Conservatoire. Il ne composa qu’un seul opéra, Leonora de Medici, représenté à Milan en 1855, mais livra de nombreux opus de musique de chambre.

La flûte cylindrique fut améliorée entre 1831 et 1847 par le bavarois Theobald Böhm qui la dota d’un système d’anneaux mobiles dans le but de faciliter les doigtés. Le brevet était détenu par la firme londonienne Rudal & Rose. Briccialdi eu l’idée, en 1849, d’ajouter un levier sur la clé de si pour le pouce gauche, ce qui rendait plus aisée la production du si bémol. Ce mécanisme se nomma dès lors le si bémol Briccialdi.

Son Quintetto per fiati nº 1 en ré majeur op. 124 date de 1875 et se révèle une œuvre attractive magnifiant les timbres spécifiques de chaque instrument. L’Allegro marziale déploie des charmes belliniens et les gammes virevoltantes évoquent des vocalises de prima donna. L’Andante prend des allures de romance au lyrisme enchanteur. Le final inventif s’imprègne de l’incomparable élégance des ouvrages français de l’époque (Bizet, Lalo, …). Les thèmes se répartissent ingénieusement entre les protagonistes et leur agencement permet à chaque interprète de s’exprimer au summum de ses capacités. Jouissif et palpitant, ce quintette constitue assurément le meilleur moment du CD.

Membre d’honneur de la Società Rossiniana de Pesaro, Briccialdi avait toute légitimité pour écrire le Potpourri Fantastico sur le Barbier de Séville de Rossini qui conclut joyeusement le programme. Pour habile et efficace qu’il soit, il ne manque au jeu des musiciens qu’un brin de folie pour nous enthousiasmer complètement.

 

Illustration : Giulio Baldassarre Briccialdi, par JosephKriehuber (1842), Archivio Storico Ricordi

Quintette Pentaèdre, Tutti all’opera, 1 CD ATMA Classique. La version numérique propose en supplément un arrangement par le clarinettiste Martin Carpentier de O mio babbino caro (air de Gianni Schicchi de Puccini).

 

1 Louis-Gabriel Michaud, Biographie Universelle ancienne et moderne, Paris, Desplaces, 1854.

 

 

 

 


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