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Chronique de Michel Bouvier

Proust n’a pas décrit ce côté-là, que deux livres nouveaux nous invitent à découvrir.

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Chronique de Michel Bouvier

Dominique Barbéris nous propose de passer Un dimanche à Ville-d’Avray (éd. Arléa). Cernée par la forêt de Fausses-Reposes, offerte aux songes qui se lèvent des étangs de Corot, la ville, endormie par « l’incertitude légère » d’un dimanche, nous ouvre une de ses « maisons aux faux airs de villa Art déco ». Deux sœurs y évoquent, « entre l’automne et l’été », le temps où elles se tenaient, « graves et pures, à la bouche de l’enfer. » L’aînée, Claire Marie, va raconter comment elle s’en est approchée. Cette fille est prédestinée à l’attente, qu’elle emplit de rêves romanesques. Sa mère, terriblement bourgeoise, lui a prédit un avenir de caissière. En fait, elle s’est mariée avec un médecin, a eu une fille qui joue du piano, puis a refusé ce que le hasard lui tendait. C’est ce cadeau – ou ce piège – refusé, dont elle va s’ouvrir à sa sœur, narrant la rencontre qu’elle fit d’un homme étrange, dont elle ne sut rien de clair, puisqu’elle n’eut pas l’audace de se donner un destin – ou qu’elle fut assez sage pour ne pas s’y livrer.

Un jour qu’elle servait de secrétaire à son mari, elle a remarqué un patient « massif, silencieux, presque austère. » Un mois plus tard, ils se croisent ; elle revient de courses, il lui propose de la ramener en voiture. Une autre fois – « Il y a toujours du jeu dans l’espace et le temps.» – il lui offre un verre dans un café « très éclairé », lui raconte ses vies aventureuses – « on a plusieurs vies, vous savez ». Évadé de Hongrie, travaillant dans l’import-export, et toutes ces choses qui ouvrent des horizons… Elle se laisse charmer, le quitte mélancoliquement. Parce que Claire Marie se souvient de ses rêves d’adolescente amoureuse de héros littéraires, elle se promène avec l’envie qu’il soit là ; ils se revoient, incertains. Les deux sœurs évoquant les étangs de Corot, la cadette croit y voir l’aînée avec son inconnu, « comme si le flou du rêve s’interposait entre l’image et le regard », ce qui est « toujours le cas » dans les tableaux de Corot. Les souvenirs se mêlent, le passé au présent, les livres, les souvenirs de télévision et les peintures, brouillant la réalité que les lumières font chavirer, fléchir. Quand Claire Marie s’aventurera jusqu’à l’appartement proposé, il suffira d’une clarté soudaine « dans le verre dépoli de l’entrée », de « l’idée d’un petit cabinet poussiéreux » pour qu’elle s’enfuie, « prise d’une panique ».

Dominique Barbéris a l’art de mêler des scènes bien réelles aux rêveries de l’âme enchantée. Ainsi un contrôle de gendarmerie fait-il contraste avec les remarques poétiques sur l’étrange charme des autos anciennes, avec lesquelles on roulait trop vite. Elle use d’une langue fluide, inventive, sans artifices ni pathos, une langue qui devient poétique par la précision, le dépouillement, le choix des mots qu’elle fait sonner à leur juste place, et qui permet ainsi de dire la vie intérieure avec intensité. Un premier exemple, repris au passé : un soir, « des mains tiraient sur un voilage ou descendaient un store à manivelle, et les repères disparaissaient ; le carré de lumière d’une fenêtre devenait de la nuit. » Un second, mêlé au trouble aujourd’hui : Claire Marie vient de raccrocher après que son mari lui a proposé de sortir au restaurant, « elle se tenait à la fenêtre devant les camélias prêts à fleurir, un affreux chagrin la saisit, un chagrin qui l’empêchait de bouger, qui traversait le temps, qui venait, lui sembla-t-il, de très loin, des heures vides de l’enfance, d’une attente qui n’avait jamais cessé. »

Ce petit livre sent les feuilles qui macèrent en tas, la fumée des feux de jardin, la vie qui s’engrise et s’efface peu à peu, comme les reflets du jour sur l’eau des mares.

 

Alissa Wenz, qui est chanteuse et scénariste, a voulu arracher au temps dévorateur les souvenirs de sa grand-mère. Lulu fille de marin (ateliers Henry Dougier) est un dialogue entre la petite-fille et l’aïeule, qui se raconte gentiment. Pour éviter la monotonie, Alissa Wenz use de toutes les ressources de la narration et des styles direct, indirect, indirect libre… Elle possède un art consommé de la construction, de la variété, de la polissure des transitions. Elle fait parler sa grand-mère dans un français très pur, qui n’en est pas moins un français parlé populaire, savoureux, mêlé de quelques mots de gallo, le dialecte des régions de Bretagne qui ne sont pas bretonnantes. À travers cette conversation brodée d’amour, c’est le passé qui revit, l’histoire d’une femme née en 1928, qui a épousé un marin absent de longs mois, comme le fut son propre père.

Elle se souvient des « grands dépeuplements du cœur ». « Papa n’est pas là. On pense à l’absent. On le chérit. L’attente, encore. Revoir la casquette. Le savoir en vie. L’attente de la douceur masculine, l’attente d’une étreinte, d’un sourire. Oui, il reviendra. » Six mois sans nouvelles à attendre le retour. « Il est toujours revenu. » Elle a donc eu de la chance, elle le sait. Vous remarquez ces mots extraordinaires : le « dépeuplement du cœur », la « douceur masculine ». Pourtant le père est rude, taiseux, sévère. Mais l’amour est entier, violent, tenace. Cette femme dit ce qu’était autrefois la force des sentiments dans ces familles apparemment ternes. Elle reproduira le même art d’aimer avec son mari, dans les mêmes conditions difficiles. L’amour est un sentiment qui forcit sur les landes nues, pas dans les lofts confortables connectés à la diable – car ce sont diableries, messire. Elle nous raconte comment elle a choisi son époux, comment ils se sont fiancés après une carte pudique, une bague acceptée, et quelques jours à songer, comment ils se sont mariés sans se connaître, « embarqués » dirait Pascal. L’amour est un besoin, puis une patience. Le bonheur n’est pas au départ, dans les rêves, il est dans le temps déroulé avec la force de mener sa barque, son corps, comme il convient à ce qu’on est.

Pendant l’Occupation, la petite fille de 12 ans « apprivoise sa peur des Allemands » et entre dans la résistance tout naturellement. « Elle en rit encore, malicieuse – une fierté d’enfant, obstinée, sincère, tout à la fois sérieuse et inconsciente. » En 1944, elle a 16 ans et devient secrétaire de mairie. C’est elle qui établira la liste des femmes qui vont voter pour la première fois. Elle raconte les bombes anglaises, heureuse d’être toujours là pour en parler. Elle sait bien qu’il y a des salauds et des lâches, elle n’en fait pas un plat : c’est l’homme, quoi ! Elle rapporte le prêche du curé à son mariage, elle s’en amuse. L’auteur conclut : « Le discours de mariage de Lulu en dit long sur son époque. » En dire long dans une page brève : c’est tout l’art d’Alissa Wenz, qui connaît son Boileau : « Qui ne sut se borner ne sut jamais écrire. » Bien sûr, le mariage est indissoluble : « C’est dit, c’est fait, ce sera jusqu’au dernier jour. » Et puisqu’il en est ainsi, va falloir s’accommoder. Le secret du bonheur en somme.

Du coup, Lulu y va de son couplet contre nos temps de progrès, qui ne lui plaisent guère : « la vie était pas pareille. Maintenant… Maintenant, je n’sais pas… il manque quelque chose. Mais quoi ? Je saurais pas dire… » La modestie des humbles, qui les empêche de délirer et de vouloir réformer le monde, de critiquer les gens à propos de tout. Les gens, elle les aime. C’est le monde qu’elle n’aime pas, refusant d’utiliser les gadgets avec lesquels il nous asservit, « faisant preuve d’une mauvaise volonté absolument charmante ». Bonne chrétienne sans le savoir – elle n’aime pas les curés –, appliquant les préceptes de saint Paul par simple bon sens, et droiture de cœur.

« Il n’y a pas de tristesse dans les mots de ma grand-mère. Pas de regret. Mais une forme de dureté, ou d’incompréhension. Et ce parfum d’amertume, de ceux qui se dégagent des trains partis trop tôt, des rendez-vous manqués. » Un monde ancien qui s’en va, qu’un livre comme celui-ci sauve, pour l’éternité de nos bibliothèques.

  • Un dimanche à Ville-d’Avray, Dominique Barbéris, Arlea, 2019, 128 pages, 17 €
  • Lulu fille de marin, Alissa Wenz, Ateliers Henry Dougié, 2019, 112 pages, 14 €

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