Familier des expériences spirituelles hors du commun, le label Psalmus nous gratifie de deux passionnantes publications de musique sacrée.
Considéré comme le premier évêque d’Athènes, Denys l’Aréopagite fut identifié par les Parisiens à partir du IXe siècle à leur premier évêque, Denis de Paris, mort décapité à Montmartre pendant la persécution de Valérien vers 250. La légende rapporte qu’il se serait relevé et aurait marché vers le nord pendant six kilomètres, la tête sous le bras. Cette identification de l’évêque de Paris au disciple de Saint Paul est à l’origine du culte rendu à saint Denys l’Aréopagite et à la base de la Messe grecque de Saint Denis. Depuis le XIe siècle, les moines de l’abbaye royale interprétaient traditionnellement la Missa Graeca le jour de l’octave de la fête patronale. Mais lorsque l’Assemblée constituante supprima les ordres religieux en 1790, l’église, fermée avant d’être pillée, fut transformée en temple de la Raison. Frédéric Tavernier-Vellas nous convie à la résurrection d’un office qui n’avait plus résonné depuis la Révolution ! La forme de cette messe, intégralement chantée en langue grecque en l’honneur des origines supposées du saint, évolua constamment jusqu’au règne du Roi Soleil. Le chant grégorien initial s’était mué en plain-chant à partir de la Renaissance et au cours de la période baroque l’orgue vint renforcer à son tour la solennité du culte. Cette tradition musicale française millénaire demeure complètement méconnue de nos jours. L’option choisie pour cet enregistrement nous fait entendre l’organiste Pauline Koudouno-Chabert jouant la Messe des paroisses de François Couperin, grand classique de la littérature organistique, qui alterne avec les Solistes de la Musique Byzantine. Dans un rythme alenti, l’instrumentiste fait sonner l’orgue de l’abbaye de Sylvanès avec une majesté adéquate. La prise de son très naturelle fait ressortir le grain particulier de l’instrument autant que le caractère brut des voix, qui semblent trop terrestres – presque trop incarnées – pour transporter vraiment.
L’Empire romain d’Orient avait fait rayonner jusqu’en Europe occidentale les trésors de la civilisation hellénique. Son patrimoine musical est le miroir de l’art des icônes et de l’architecture de ses temples. L’office des funérailles de la liturgie byzantine accompagne l’homme au terme de son voyage terrestre. Peu d’offices bouleversent à ce point. Dès la première plage du disque enregistré sous la direction de Frédéric Tavernier-Vellas, un court Trisagion (hymne à la trinité de Petros Lambadarios) que l’on chante pour emmener le défunt jusqu’à l’église, l’envoûtement opère et ne nous lâche plus. Les tenues d’ison (profond bourdon sur une note égale) nous atteignent en plein cœur. La splendeur hypnotique de la psalmodie opère et les stances se succèdent en modes plagaux. Les trois premières sont tirées du Psaume 118 : « Heureux les hommes intègres dans leurs voies qui marchent suivant la loi du Seigneur ! » Vient ensuite l’Evlogitaria, longue et poignante bénédiction des morts. Les tropaires idiomèles, dans lesquels la mélodie est énoncée par le chantre avec une grande liberté d’interprétation, précèdent les Béatitudes. Après la lecture de la première épître de Saint Paul aux Thessaloniciens est chanté un dernier adieu d’une renversante intemporalité. À l’arrivée au cimetière retentit un ultime et imposant Trisagion de Balasios le prêtre (XVIIe siècle). Les voix des Solistes de la Musique Byzantine sonnent avec une présence surprenante grâce à la captation en studio de Thomas Ceyhan et nous procurent une expérience de beauté transcendante.
À écouter :
- Messe grecque de saint Denis, Pauline Koundouno-Chabert, orgue de l’abbaye de Sylvanès, Les Solistes de la Musique Byzantine, Frédéric Tavernier-Vellas, 1 CD Psalmus PSAL033
- Liturgie Byzantine des Morts, Les Solistes de la Musique Byzantine, Frédéric Tavernier-Vellas, 1 CD Psalmus PSAL035
À lire :
- Lykourgos Angelopoulos, Les voix de Byzance, Desclée De Brouwer