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Canard au sang

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Canard au sang

Sotie : « farce satirique et allégorique du Moyen-Âge, jouée par des acteurs en costume de bouffon ».
Ce réjouissant roman de rentrée d’Éloi Audoin-Rouzeau se situe dans une époque post-moderne et pourrait s’apparenter à ce genre littéraire, avec une bonne dose de poésie et de philosophie en plus. L’action se situe à Paris, vingt ans après les « évènements », litote pour nommer une pandémie auprès de laquelle notre épisode Covid ferait figure de rhume des foins. Un pouvoir autoritaire et démagogique s’est installé.
À Paris, et souvent au-dessus du centre historique, du boulevard Saint-Michel à la Closerie des Lilas, en passant par les ponts de la Seine et les vieilles rues chargées de souvenirs millénaires, nous suivons à vol d’oiseau un canard qui fait face à une ville en folie.
Il ne s’agit pas de n’importe quel emplumé : nous avons affaire à un canard-émissaire, lâché une fois l’an pour un parcours expiatoire qui doit l’amener à la fin dans la petite presse de cuisine du mythique restaurant La Tour d’Argent pour devenir le énième « canard au sang » qui a tant contribué à la réputation de l’établissement (le récit de la préparation et de la découpe vaut plus qu’un détour).
Celui ou celle qui le capturera, dans une ambiance de kermesse débridée qui mobilise toute l’attention du jour, médiatiquement suivie comme une épreuve des JO, aura le droit de le déguster avec le Président. Il recevra au surplus une enveloppe de vingt millions de « francs neufs ».
Il faut dire qu’après l’abattage (entre autres) de tous les volatiles suite à la pandémie, seule subsiste une souche de canards de Chalans, parmi lesquels est choisi le malheureux élu, pourchassé tout au long du jour par une foule déchaînée et surexcitée. Mais cette année ne sera pas comme les autres. À travers une série de portraits en situation, le narrateur nous fait découvrir les rencontres fortuites du fugitif avec des Parisiens qui ne suivent pas le troupeau : rêveurs, égarés, révoltés ou simplement trop dignes ou trop humains, ils perturberont le déroulement de la fête. La tension monte, la foule gronde, un drone se perd, les radios s’inquiètent : le risque est grand de voir compromis le rite garant de la stabilité politique – un peu comme dans une réplique dérisoire des jeux du cirque où le chrétien échapperait aux lions.
Riche de références historique et littéraires, d’images d’un Paris vu du ciel, le parcours réjouira le lecteur. Ça se lit d’une traite ! Loin de l’histoire du canard de Robert Lamoureux, celle-ci n’emporte pas le gros rire et donne plutôt à sourire… jaune. Mais, à la fin, sera-t-il toujours en vie ? « Farce satirique et allégorique », c’est le livre à lire pour une rentrée festive, intelligente et résistante.

Éloi Audoin-Rouzeau, Ouvre ton aile au vent. Phébus, 2021, 144 p., 16 €.

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