Violette Laguille reprend du service dans une de ces enquêtes policières réjouissantes où Élisabeth Segard mêle son goût de la comédie à ses talents d’observatrice, faisant partager aux lecteurs tous ses émerveillements – ici pour le château de Valençay, la gastronomie, Carême, la tiare de Saïtapharnès et cent autres choses qu’elle distille au fil des pages.
Violette, plongée dans un concours de pâtisserie, s’efforce de comprendre qui a tué un critique culinaire. L’enquête avance lentement et c’est tant mieux car on a le plaisir de voir Théophile Vernet se faire traiter de « Poutine du vol-au-vent », de lire un menu de 1822 avec des filets de lapereaux glacés à la chicorée et de voir un cuisinier chevronné assommer une jeune gloire avec un rouleau à pâtisserie pour l’empêcher d’embrocher un concurrent. Imperturbable, presque blasée, Violette, ancienne gloire du patinage, traverse le château où a lieu le concours, les conversations, les dégustations de pâtisseries et les visites touristiques, dont un atelier d’ébénisterie : elle écoute tout le monde sans se prendre pour Miss Marple (la patineuse ayant aussi vécu en Centrafrique, elle n’a pas le background morne des héroïnes d’Agatha Christie, qui s’acharnait à donner à ses personnages les vies les moins intéressantes possibles), raisonne, soupèse, questionne et résout le meurtre – et même les deux, car Élisabeth Segard est généreuse avec son lecteur. Ses romans sont comme un Exbrayat qui n’aurait pas voulu trop calibrer son récit, comme un Gabriel Chevallier qui n’aurait pas voulu trop donner dans la farce. Ils sont riches en personnages et en détours, en bonheurs d’expression et en gouaille retenue, en gendarmes bornés et en snobs ridiculisés, en braves gens et en francs salauds. C’est parce que l’auteur profite de sa fiction pour parler de la vraie France, défunte et actuelle, délicieux tour de main qu’elle maîtrise comme un chef.
Élisabeth Segard, Chou fatal. Calmann-Lévy, 2025, 304 p., 20,50 €
