Civilisation

Un écrivain maudit au Japon
Après nous avoir donné le splendide Grandeur et décadence des Caligny, Muriel de Rengervé nous emmène ce coup-ci au Japon. Mais il y a très peu d’exotisme, nous ne sommes pas chez Loti.
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Quoi de mieux, pour se gouverner dans la vie, qu’un manuel regroupant « les figures et les noms de toutes les choses fondamentales du monde et des actions de la vie » ?
Le protestant tchèque Comenius, dont la vie ne fut qu’une longue tribulation, avait un génie didactique qui le poussait à vouloir apprendre tout à tous, filles et garçons, pauvres et riches, de 0 à 24 ans, en latin et dans la langue maternelle. En 1658, il fait paraître Image du monde sensible, qui connaîtra cinquante éditions en cent ans, jusqu’en Orient. Richelieu le voulait pour la France, les puritains d’Harvard l’invitèrent dans le Nouveau Monde, il perdit deux femmes et deux bibliothèques et n’aimait pas Descartes. Et alors ? Alors son livre est un merveilleux fourre-tout qui dispense un enseignement « vrai, complet clair et solide », puisque le soleil tourne autour de la terre ; un enseignement qui dit que « la grâce de la vie » est « d’être sage, d’agir et de parler ». Sa pédagogie était douce autant que l’époque était rude et Lucien Polastron traduit dans un français magnifique son alphabet à base de cris d’animaux, et chaque “leçon”, de Dieu au Jugement dernier est comme un poème en prose aussi savant que naïf, qui décrit les animaux, les viscères et les os, la vendange et le festin, le vaisseau et le naufrage – car il faut tout dire aux enfants –, les vertus et « l’arbre de la consanguinité », qui décrit les familles jusqu’au 6e degré. Chaque leçon a sa gravure, aux parties numérotées, qui renvoient au texte latin (car comment connaître le monde sans le latin) et français qui nous dit : « Traverser les cours d’eau sans se mouiller, de cette pensée sont nés les ponts » ; quant aux cacodémons, ils seront précipités dans la géhenne. On apprend à l’enfant les métiers en lui décrivant et nommant les outils, le monde en lui décrivant les continents (« Dans les mers flottent les Îles à l’infini », infinitae natant insulae), la Podolie existe encore en Europe et Comenius, qui dut fuir deux fois devant les soldats, enseigne que « la Bravoure est impavide dans l’Adversité ». On le croit.