Alexis Legayet considère notre époque avec un œil vif, une plume drôle et un esprit interloqué.
Il en tire de longs apologues drolatiques d’où il ressort que nous sommes en pleine décadence et que tout va aller très mal, ou d’autres, dans une curieuse veine agnostique chrétienne, qui donnent à penser que tout n’est pas perdu pourvu qu’une improbable grâce saisisse quelques uns de nos congénères. La sainte et la putain imagine que, dans ce monde post #MeToo, une infirmière se découvre la curieuse vocation mystique de satisfaire la misère sexuelle de ses contemporains. Imaginez qu’au lieu d’Extension du domaine de la lutte, de Houellebecq, vous vous trouvez au milieu d’une enquête policière où l’inspecteur Canetti, juste rescapé des dangers de la Beauté (Le syndrome de Bergson, 2023), se retrouve à traquer une mystérieuse confrérie de charitables filles de joie pour élucider un assassinat, avec un cadavre céphalophore. Les conversations philosophiques ont autant d’importance que la quête des indices et Alexis Legayet joue les hérésiarques post-modernes en tentant de donner un sens trop humain à l’amour des créatures. Ça pourrait être scabreux (et il arrive que le lire brave l’honnêteté), c’est intrigant, irritant, provocateur et, dans cette tambouille brillante et narquoise de symboles chrétiens privés de transcendance, assaisonnée à la gauloise d’un peu d’esprit fort et d’histoire antique, on sent l’immense nostalgie pour une société où la compétition de chacun pour tout et contre tous céderait enfin la place à une immense réciprocité des services. À réserver à ceux dont la foi tranquille ne s’alarmera pas des outrances de la fable.
Alexis Legayet, La sainte et la putain. La mouette de Minerve, 2024, 292 p., 16,90 €