Prenant ironiquement comme prétexte un propos fumeux de Macron, François Meyronnis, qui a décidé un jour que le monde réticulaire et spectaculaire dans lequel nous vivions était lassant et dangereux, poursuit son exploration du virtuel, de la cybernétique, « cataclysme irréversible et de basse intensité ».
Norbert Wiener, son inventeur, avait conscience de son caractère destructeur : les animateurs de la revue reproduisent une des nouvelles que le scientifique aimait écrire comme un double de son œuvre technique. Puis vient un grand texte de Meyronnis, Dans l’abîme, qu’il n’est pas possible de résumer puisqu’il s’agit d’une méditation politique et mystique (appuyée sur une lecture assidue des Écritures, y compris à l’aide de la tradition juive), donc eschatologique, servie par une langue précise et tenue, sur cette réalité qui désormais s’évanouit, soit parce que le virtuel gagne, au point qu’il érode le réel, soit parce que le spectaculaire est devenu un but politique, et non plus simplement un moyen pervers. Ce monde se délite, plus rien n’est limité, et nous sommes otages de cette faille technique qui nous engloutit. Meyronnis, à son tour, analyse ce que notre époque a de sacrificiel dans cette dévoration en soulignant, comme d’autres, que « on s’est entièrement coupé de l’invisible, donc du dédicataire de l’offrande. » Les formules qui surgissent dans ce raisonnement serré sur l’abîme dans lequel nous tombons abondent, par exemple : « Lorsqu’on voue êtres et choses à l’utilité, c’est-à-dire à la mesquinerie du calcul, tout est substitué et par là remplaçable. » Jusqu’à cette constatation saisissante : « TOUT CE QUI EXISTE EST EN PROIE. »
« La Bête de l’événement ». Ligne de risque n°4. Sprezzatur, 2024, 100 p. ; 10 €.
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