Du 23 au 30 janvier, un groupe de prêtres et de laïcs catholiques accompagnait l’évêque de Fréjus-Toulon, Mgr Rey, pour un voyage d’étude au Sud de la Californie. A Lake Forest, dans le comté d’Orange, se trouve l’église de Saddleback du célèbre et charismatique pasteur évangélique Rick Warren.
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Le « worship center » tient plus de la salle de spectacle que du lieu de culte. La scène est d’ailleurs bientôt investie par un groupe de rock au grand complet. Pendant que les claviers électroniques et les guitares électriques crachent des louanges au Tout-Puissant, le vaste espace de 2 800 places – un parterre de fauteuils entouré par des rangées de gradins – finit de se remplir. « C’est une foule impressionnante », glisse un des membres de la délégation française emmenée aux États-Unis par Mgr Rey, l’évêque de Fréjus-Toulon. Saisis par la ferveur de l’assemblée, tous attendent avec impatience l’arrivée de l’homme que l’hebdomadaire The Economist a qualifié de prédicateur « le plus influent d’Amérique »… Nous sommes à Lake Forest, au sud de Los Angeles, en Californie. Chaque fin de semaine, près de 25 000 personnes assistent aux différents services religieux de la Saddleback Church dont le pasteur, Rick Warren, est une des figures majeures du protestantisme évangélique.
Les instruments se taisent et le prédicateur apparaît. Cinquantaine bien portante, chemise à carreaux sortie du pantalon, celui qui prononça la prière lors de la cérémonie d’investiture du premier mandat de Barack Obama est un homme jovial à l’élocution fluide. « God wants you to be connected », martèle-t-il aux membres de son église qui régulièrement l’applaudissent. Inscrits en lettres capitales sur les écrans géants disposés de part et d’autre de la scène, des extraits de l’évangile viennent opportunément souligner son propos. Efficacité assurée. Le culte – liturgie réduite au minimum, aucun rite propitiatoire – a duré une petite heure. Hormis les louanges et une brève prière invoquant l’Esprit Saint, il a tenu tout entier dans le prêche simple et direct du pasteur Rick Warren.
Le fondateur de Saddleback
Accueillant ses invités d’une accolade toute américaine, tapant chaleureusement sur les épaules des uns et des autres, l’homme qui a fondé Saddleback, il y a 35 ans, a le charisme des bâtisseurs. Auteur de plusieurs livres dont le best-seller The Purpose Driven Life (Une vie motivée par l’essentiel) vendu à plus de 20 millions d’exemplaires, il a été invité en novembre dernier au Vatican par le pape François pour donner une conférence sur le mariage qu’il ne conçoit que comme l’union d’un homme et d’une femme. Cette visite à Rome a fait grincer quelques dents. Sans surprise. Le tempérament iconoclaste de Warren – qui fait applaudir un groupe de catholiques durant un culte protestant –, ainsi que ses positions fermes sur le plan doctrinal, dérangent. Lorsqu’Obama était encore sénateur de l’Illinois, il l’avait invité à venir débattre des enjeux contemporains à Lake Forest. Le futur président des États-Unis s’était prêté au jeu. Fureur des lobbys féministes et homosexuels et des conservateurs les plus intransigeants…
Mais le révérend n’est visiblement pas du genre à se laisser abattre par ces polémiques et témoigne volontiers de son parcours et de celui de son église. Comptant aujourd’hui parmi les plus influentes au monde, elle fait partie de la Convention baptiste du Sud, première congrégation protestante des États-Unis avec 16 millions de membres. Il est de toute façon toujours difficile d’identifier précisément l’étiquette confessionnelle d’une église évangélique. Pour ces chrétiens qui refusent toute forme d’institutionnalisation, l’église n’est pas une organisation hiérarchisée mais une réalité spirituelle résidant dans des communautés fraternelles. Chacune de ces communautés cultive ses propres spécificités.
« On pourrait la comparer à Google ou Starbucks »
C’est ce pragmatisme qui saute aux yeux du visiteur empruntant les allées bordées de pelouses immaculées de la Saddleback church dont le mensuel Forbes a écrit que « si elle était une entreprise, on pourrait la comparer à Google ou Starbucks ». On se croirait quelque part entre un parc d’attraction et une petite ville de série télévisée. Bâtiments modernes, ponts de pierre enjambant des pièces d’eau, aquarium pédagogique, pistes de skateboard, aires de jeux pour enfants, cafétéria vendant des boissons et des sandwichs, tout est fait pour que l’envie vous prenne d’y passer la journée en famille ou avec des amis. Curieusement, rien, sur ce campus de 50 hectares, n’en rappelle ostensiblement la dimension chrétienne. Le pasteur David, qui guide la visite, fournit l’explication : il s’agit de créer un environnement familier afin de ne pas décourager ceux qui ne possèderaient pas les « codes » du christianisme. Saddleback, poursuit notre guide, porte une attention particulière aux non-croyants.
Après les services, quand il y a des demandes, des baptêmes sont d’ailleurs pratiqués dans une sorte de piscine située juste derrière la salle de culte. On se trouve là au cœur de l’identité « born again » de la foi évangélique où la conversion s’opère par un baptême réservé aux seuls adultes. Le converti est plongé dans l’eau, symbole de sa « nouvelle naissance ». Autrement dit, les évangéliques réfutent l’idée que l’on puisse être chrétien par héritage ; on le devient par libre choix, assumé en pleine conscience. Est-ce une des raisons de la formidable expansion de ces églises, l’importance qu’elles accordent au libre arbitre, à l’individu, rencontrant l’esprit du temps ?
un poids lourd de la géopolitique religieuse
La visite s’achève sur ces considérations qui touchent à la foi de ce christianisme de conversion, fondé sur la rencontre personnelle avec Jésus. Une foi qui refuse les médiations et, notamment, celle de la plupart des sacrements. Une foi qui place la Bible au centre de toutes ses préoccupations. Une foi qui se reçoit personnellement mais qui se vit collectivement dans le sillage de pasteurs « stars » au zèle infatigable. Une foi facilement accessible qui fait des églises évangéliques, malgré les apparences trompeuses de Saddleback, des églises militantes au prosélytisme actif et discret. Des États-Unis au Congo, du Brésil à la Corée du Sud, elles sont en effet aujourd’hui, selon le mot du sociologue des religions Sébastien Fath, un « poids lourd de la géopolitique religieuse ». Aux états-Unis, en particulier dans le combat pro life, les catholiques l’ont bien compris. Christopher Check, président de Catholic Answers, une société de lobbying catholique située à San Diego, le confirme : « Il y a encore une quinzaine d’années, les évangéliques avait une politique très agressive envers les catholiques. Confrontés aujourd’hui comme nous à la sécularisation de la société, ils ne nous considèrent plus comme des ennemis. De notre côté, nous ne les voyons plus comme des « concurrents » car l’urgence est ailleurs. Les relations se sont apaisées et des alliances se forment. »
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