Comment ne pas revenir, une fois encore, à la source grecque ?
Les Centaures, Ulysse, Bellérophon, Tantale, Pan, Poséidon et Ganymède, que n’ont-ils, depuis nos enfance, couru devant nos yeux, disparu dans le feu ou la métamorphose, laissant dans nos esprits des traces indélébiles, sans cesse ravivées au hasard des voyages, des études et des lectures tant l’imaginaire grec est ancré dans nos cultures et même structure notre pensée.
Pierre Sauzeau, helléniste et linguiste, s’est lancé dans une tentative héracléenne : rassembler en un seul livre tous les mythes, même les moins connus. Il a choisi de les ranger thématiquement plutôt que chronologiquement, ce qui est particulièrement bienvenu : s’il est légitime de commencer par « la naissance des dieux » (chapitre 1 du Livre I), le lecteur ne doit pas attendre que finissent par arriver, par on ne sait quel détours mystérieux, Aréthuse et Procné (soit « Tachetée », sœur de Philomèle, « qui aime les moutons ») – qu’il n’attendait d’ailleurs pas ; mais la table des matières lui offre un imaginaire bien rangé et par là-même bien plus facile à explorer : le Livre II, consacrée à la nature, regroupe en deux chapitre les métamorphoses : Galanthis transformée en belette par Héra, et les bouviers inhospitaliers de Lycie transformés en grenouilles par Lêtô, pour les punir de l’avoir empêchée de baigner Apollon et Artémis dans une fontaine.
Les amours d’Aphrodite, les expériences transgenres, les mythes de l’Argolide ?
Nous voilà en chasse : les amours d’Aphrodite, les expériences transgenres, les mythes de l’Argolide ?…Ou le Livre IX consacrés aux retours ? L’auteur nous invite à buissonner mais a omis un index (qui aurait été plus qu’utile). Tout juste nous indique-t-il, lorsque nous lisons page 354 qu’Héraclès part éliminer l’Hydre, que Poséidon avait récompensé Amyomonè en « faisant jaillir une source abondante [p. 186] » non loin de Lerne. Nous courons page 186 où il appert qu’Amyomonè, la « Sans-reproche », est une des cinquante Danaïdes débarquées en Argos, qu’elle a manqué être violée par un satyre, que Poséidon la sauve et l’épouse. Nous voilà partis à la page 238 pour découvrir les crimes des Danaïdes, qui jetèrent dans le marais de Lerne les quarante-neuf têtes de leurs maris.
De renvoi en renvoi, découvrant régulièrement des tableaux généalogiques (« la descendance d’Iô », « la descendance de Tantale », « mythes d’Argos de Lynceus à Héraclès »), on se perd, on croise Méduse, « Celle qui gouverne » (Pierre Sauzeau propose de nombreuses étymologies, surprenantes et éclairantes) qui, décapitée, donne naissance à Pégase, « Celui de la source », avant que Persée n’aille en Éthiopie, le « Pays des hommes brûlés » – qu’on ira mieux découvrir en le cherchant au chapitre 13 du Livre VI, les pays imaginaires. Mais tout ce Grand livre des mythes grecs qui est un pays imaginaire d’où jaillissent des sources vivifiantes.
Pierre Sauzeau, Le grand livre des mythes grecs. Les Belles Lettres, 574 p., 29,90 €