À quoi servent les cathédrales ? À abriter des trésors. Les évêques successifs entassent des œufs d’autruche, des psautiers en ivoire, des reliquaires en or, des burettes en vermeil, le trône de Dagobert, des chapes en satin brodé, la chasuble de saint Thomas Beckett, à Sens, un talisman de Charlemagne, la boite en plomb du cœur de Richard Cœur de lion ; et la tête de saint Jean-Baptiste, à Amiens. Le trésor augmente peu à peu, les pèlerins affluent, et les touristes, les villes poussent autour. On peut raconter la chose autrement mais ce n’est pas rendre justice à l’attrait du trésor. Le clergé vend les belles pièces pour financer les travaux, les huguenots pillent, la révolution ravage, l’Empire remet en état, le XIXe et le XXe siècles restaurent et étudient, le XXIe continue et va jusqu’à envisager de créer de nouveaux trésors.
Talisman de Charlemagne. Or, perles, verre, pierres. IXe siècle. Cathédrale de Reims.
Les Éditions du patrimoine consacrent aux trésors un livre somme, avec un florilège détaillant trente trésors, d’Albi à Versailles. La manière dont les historiens, désormais, s’intéressent moins aux pièces exceptionnelles¹ qu’à l’histoire des trésors, leur constitution, leur évolution, leur dispersion, est passionnante : le trésor révèle la puissance des prélats successifs, leur éloignement du pouvoir, leurs tactiques financières et pieuses, la manière dont la ville s’organise autour du lieu qui draine la chrétienté. En plus « [des] objets d’orfèvrerie d’une part, qui participent à l’exercice du culte (ministerium), et [des] œuvres textiles de l’autre, qui contribuent à l’ornement du culte (ornamentum) », on voit émerger les pures curiosités, comme de prétendus ongles de griffon : il faut que les curieux viennent, sans attendre les ostensions solennelles ou les processions à la rareté calculée. Le livre précise d’ailleurs que tous ces trésors ne sont pas figés dans leurs vitrines désormais illuminées : les diocèses contemporains et les institutions publiques ont su ménager les exigences de la science, du tourisme et de la religion, et à Arras, Joyel, le reliquaire de la sainte chandelle supposé guérir le mal des ardents, est toujours promené en mai.
Les évêques entassent moins mais exposent mieux. Le trésor n’est plus caché au plus épais des murailles (on le pille plus facilement, désormais plus besoin d’une révolte nombreuse), il est fléché et surtout expliqué. Ce sont les histoires du bâtiment, de la ville et de la religion catholique, et de la France, qui rayonnent des ostensoirs rangés dans leurs vitrines reposoirs.
Par Richard de Seze
1. Auxquelles les révolutionnaires étaient sensibles : dans L’Instruction concernant les châsses, reliquaires et autres pièces d’orfèvrerie provenant du mobilier des maisons ecclésiastiques et destinés à la fonte, de 1791, on recommande de conserver les « œuvres antérieures à 1300, dans lesquelles la valeur du travail artistique est supérieure à celle du métal et qui offrent un intérêt pour leur qualité historique ou pour les informations sur l’évolution du costume ». Le reste fut si bien fondu par les patriotes que même le Comité de salut public s’en émut.
Trésors des cathédrales. Sous la direction de Judith Kagan et Marie-Anne Sire. Éditions du patrimoine, 2018, 320 pages, plus de 350 illustrations, 59 €.