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Nouvelle menace contre l’enseignement libre

ENSEIGNEMENT. Jean-Michel Blanquer s’efforce de redresser une Éducation nationale à la dérive. Combien de ministres ont vainement essayé ! Alors le succès de l’enseignement privé suscite crainte et jalousie. Les hostilités reprennent.

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Nouvelle menace contre l’enseignement libre

Vallaud-Belkacem voulait remplacer – par voie d’ordonnance ! – la simple déclaration d’ouverture d’un établissement d’enseignement libre hors contrat par une autorisation de l’État. Son projet avait été invalidé par le Conseil constitutionnel (décision du 26 janvier 2017) comme attentatoire à la liberté de l’enseignement et à celle d’association, garanties par la Constitution. Cette décision, le départ de Belkacem, et son remplacement par Jean-Michel Blanquer, laissaient augurer une accalmie dans l’offensive de l’État contre l’enseignement libre. Illusion. Les hostilités, un moment arrêtées, reprennent. Et c’est une sénatrice centriste UDI du Finistère, Françoise Gatel, qui les rouvre. Comme quoi les démo-chrétiens et apparentés peuvent se révéler aussi dangereux que les socialistes. Cette brave dame, sexagénaire avancée, n’a rien trouvé de mieux à faire que de tricoter une proposition de loi qui reprend de fait le projet de la péronnelle aux « yeux de velours » sous une forme édulcorée, sans parler d’« autorisation », et en prétendant conserver le régime déclaratif. Ce dernier, sous sa forme actuelle, semble à notre élue bretonne trop libéral pour ne pas comporter de risques sérieux pour notre république. D’où son zèle de chien de berger.

La manifestation de 1983 pour la liberté de l’enseignement,  la plus importante jamais connue. Politique magazine

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Un allongement des délais hautement préjudiciable

Pour commencer, le texte préconise l’allongement des délais accordés aux autorités pour former opposition à l’ouverture d’un établissement : un mois pour le maire de la commune d’implantation (contre huit jours actuellement), et trois mois pour les autorités académiques et le procureur de la République. De plus, le texte de proposition de loi prévoit l’allongement du délai à l’issue duquel – une fois l’autorisation accordée – l’établissement pourra effectivement ouvrir : trois mois, contre un seul aujourd’hui. Bref, un établissement nouvellement créé devra attendre six mois avant de pouvoir débuter son activité… s’il est agréé par les autorités. Ainsi, il sera obligé de louer des locaux sans pouvoir les utiliser pendant six mois, et verra, du même coup, ses frais d’ouverture augmenter. Bien des établissements ou des associations ne pourront faire face à un tel renchérissement et seront dissuadés de concrétiser leur projet ; en vérité, seuls les plus riches pourront supporter cette contrainte, ce qui entraînera une discrimination entre écoles libres, et réservera, de fait, l’enseignement privé à une clientèle aisée. Mais, tel semble le but recherché : les rédacteurs du projet s’inquiètent, en effet, de la croissance « exponentielle » du privé, et constatent, effarés, qu’en 2016, 93 écoles libres ont ouvert, contre seulement 31 en 2011 ; il y a péril en la demeure !

Des conditions d’autorisation alourdies

Par ailleurs, nos hardis réformateurs durcissent le dossier de candidature des écoles. Ils entendent obliger l’établissement candidat à une présentation très détaillée de son projet éducatif et de son personnel enseignant, lequel devrait faire l’objet d’une liste exhaustive, ce qui, concrètement, se révèle très rarement possible longtemps à l’avance. Enfin, la liste des pièces du dossier de candidature serait établie par décret, ce qui donnerait la faculté à l’État d’en alourdir le contenu à son gré. Un gouvernement mal disposé à l’égard de l’enseignement libre aura ainsi toute latitude pour persécuter les créateurs d’écoles.

Alignement sur l’Éducation nationale

Plus inquiétant encore, est le souhait de Françoise Gatel de vouloir unifier les trois régimes existants quant aux conditions à satisfaire pour ouvrir un établissement libre, et quant au champ du contrôle de son activité. Actuellement, les programmes, contenus et méthodes d’enseignement n’entrent dans le champ des motifs d’opposition – de la part du maire ou des autorités académiques – que pour l’enseignement technique et professionnel, et en sont d’emblée exclus pour les écoles et les établissements secondaires d’enseignement général. En ce qui concerne les établissements privés d’enseignement secondaire général, les motifs d’opposition, puis le contrôle, ne peuvent porter que sur les questions relatives à l’hygiène, aux bonnes mœurs et à la moralité des enseignants et des dirigeants. Ce ne sera plus le cas avec ce projet d’unification : désormais, le maire, le recteur ou le directeur académique des services de l’Éducation nationale pourront s’opposer à l’ouverture de tout établissement dont ils n’approuveraient pas les programmes, contenus et méthodes d’enseignement. Autrement dit, les établissements candidats à l’ouverture pourront se voir refuser le droit à l’existence s’ils n’alignent pas leurs programmes, contenus et méthodes d’enseignement sur ceux de l’Éducation nationale. Le résultat sera la raréfaction des établissements jugés non orthodoxes à cet égard, puisque seuls subsisteront ceux d’entre eux dont la création sera antérieure à la loi, et ce sera la mise au pas de ceux qui prétendraient voir le jour, comme de l’enseignement libre en général.

La vraie question jamais traitée : l’État doit-il être le patron de l’enseignement ? Politique magazine

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La lutte contre les dérives : un alibi qui ne tient pas

Bien entendu, Françoise Gatel et la kyrielle de sénateurs qui soutiennent sa proposition de loi, ont beau jeu de mettre en avant la lutte nécessaire contre les établissements, le plus souvent musulmans, inspirés par des idéologies religieuses et/ou politiques radicales, génératrices de déviances chez leurs élèves, et donc, indirectement, de troubles de l’ordre public. C’est là un bien mauvais prétexte : les écoles islamistes sont le plus souvent dissimulées, tantôt clandestines, tantôt camouflées en organisations dispensant des cours de soutien ou des enseignements à domicile, ou en centres culturels ; et, ainsi, elles échappent à tout contrôle. La mauvaise foi des rédacteurs de la proposition de loi éclate, lorsqu’ils citent le cas de l’école musulmane Al-Badr, à Toulouse. En effet, la demande d’ouverture de cette école a fait l’objet d’une double opposition de la part des autorités académiques, celle de la rectrice et celle du directeur des services académiques de la Haute-Garonne, dans le cadre de la législation actuelle. Et, si le tribunal administratif de Toulouse a annulé l’interdiction d’ouvrir, cela tient à une certaine faiblesse argumentaire, dite « défaut de motivation », relevée dans les raisons invoquées par ces autorités à l’appui de leur décision. Du reste, les juges n’ont invalidé que partiellement cette dernière ; et l’ouverture de l’école suspecte reste encore bien incertaine, puisqu’il lui manque l’avis favorable de la commission d’hygiène et de sécurité de la ville de Toulouse, et que son premier directeur a fait l’objet d’une condamnation pénale. La loi souhaitée par Françoise Gatel n’aurait rigoureusement rien changé à ce qui s’est passé avec cette école : les autorités académiques auraient formulé la même objection à son ouverture, les juges administratifs auraient relevé les mêmes failles dans l’exposé de leurs motifs, et le directeur aurait subi la même condamnation pénale. En vérité, ce texte, s’il devenait loi, serait d’une totale inutilité pour la lutte contre la diffusion scolaire de l’islamisme radical.

Le but : arrêter le développement de l’enseignement libre

Ajoutons à cela que cette loi entraînerait un contrôle des établissements privés hors contrat bien supérieur à ce qu’il est pour leurs homologues du secteur privé sous contrat ou du service public, puisque son but consiste explicitement à contrôler – en fait, arrêter – des écoles différentes de celles de l’Éducation nationale, à éviter les dérives, et, insidieusement, à casser la croissance « exponentielle » du privé, en alourdissant les conditions nécessaires à l’autorisation de l’ouverture de nouveaux établissements, au besoin par des dispositions tracassières. L’exposé des motifs de cette proposition de loi laisse percer d’un bout à l’autre la peur panique de l’efflorescence du privé – en un temps où la faillite de l’Éducation nationale est patente –, et de l’existence d’un secteur d’enseignement échappant au contrôle de notre État jacobin. La lutte contre les dérives – islamiques ou autres – tient lieu de prétexte, et, en ce domaine, redisons-le, la législation actuelle suffit – même si son renforcement, et surtout celle de ses modalités d’application, sont souhaitables –, et cette proposition de loi ne présente aucun avantage supplémentaire.

Mais le plus triste réside en ceci que cet texte n’émane pas des socialistes ou de la France insoumise, mais du centre, allié du pouvoir actuel, ce qui révèle à quel point toute notre classe politique, droite comprise, est éthiquement acquise aux conceptions politiques et sociales de la gauche, décidément maîtresse de ce pays, lors même qu’elle siège dans l’opposition. Mais cela, nous ne le savons déjà que trop.

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