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Deux philosophes facétieux

Et qui se rient de la vie et de la mort

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Deux philosophes facétieux

Philosophes, puisque « philosopher c’est apprendre à mourir », et que tous deux se sont mis en apprentissage.

Jean-Louis Fournier a décidé de raconter la mise « en puzzle » de son corps donné à la science. Il intitule cela Mon autopsie (éd. Stock). On conviendra qu’il faut être bougrement facétieux pour imaginer qu’on assiste à son propre dépeçage en observateur amusé. Afin de rendre la chose agréable, l’auteur imagine une charmante étudiante qui l’adopte pour l’année universitaire, et comme elle le découpe à la scie, il décide de l’appeler Égoïne. Ce prénom lui va à ravir. Et – pourquoi se priver ? – il imagine qu’elle fait les soldes, s’achète un maillot de bain et l’essaye en sa présence. Belle occasion de chanter la beauté de la femme. Il intitule ce chapitre : « Tout doit disparaître ». C’est irrésistible, quoique tragique.

La mort qui dit la vie

On aura compris que Jean-Louis Fournier adore jouer avec les expressions en usage, afin de leur faire rendre gorge. Il joue d’ailleurs avec tout ce qu’il aime : un des premiers textes s’intitule « les bras m’en tombent », parce qu’un de ses bras glisse du brancard. Du coup, il se compare à Marat dont le bras sortait de sa baignoire selon le peintre David, et tient à préciser : « Mais je n’ai pas de plume à la main et plus beaucoup sur la tête. »

Cette autopsie est prétexte à un festival d’esprit, de culture, de joie de vivre, donc de regret de ne plus être tout-à-fait vivant. De là on déboule sur l’évocation des plus beaux faits d’armes du temps qu’on était bien vivant, et cela devient une autobiographie, modeste et triomphante.

Parce que si l’auteur fait semblant de ne pas comprendre pourquoi on l’aime, il fait tout pour montrer combien il a été aimable et détestable, bref, « notre semblable, notre frère ».

Tout cela n’empêche ni le sérieux, ni l’émotion. Depuis que sa fille est devenue religieuse, Jean-Louis Fournier en veut à Dieu de la lui avoir enlevée. Il lui en veut si fort qu’il décide de ne plus croire en lui, ce qui ne l’empêche pas de lui faire des reproches. Ce pauvre père découpée par Égoïne ressemble assez à Job sur son fumier, rongé par la vermine et qui trouve lui aussi que Dieu exagère. Il voudrait que sa fille soit l’étudiante « en train de [le] disséquer », parce qu’elle découvrirait enfin ses secrets :

« Quand elle aurait ouvert mon cœur, n’aurait-elle pas été bouleversée ? De découvrir, enfin, la grande place qu’elle y tenait. »

Il évoque aussi Sylvie, son épouse : « On était fait l’un pour l’autre. […] Elle avait les qualités, j’avais les défauts. » Aimer, ça rend humble !

Il avoue être « un vieux con » et explique pourquoi : « Je n’avais pas de patience avec les jeunes qui se lèvent à midi, portent un pantalon qui leur tombe sur les talons et ont des germes de pommes de terre qui leur sortent par les oreilles. Normal leur cerveau doit être une petite pomme de terre. » J’avoue que les vieux cons de ce style, on peut les trouver « merveilleux », d’accord avec une gentille lectrice.

Bernard Leconte. Politique magazine

Bernard Leconte. Politique magazine

La vie qui dit la mort

J’en connais un autre, pas tout-à-fait du même tonneau, mais pas loin. Il vient de publier La mort passe (Les impliqués, éditeur). Ces trois récits de Bernard Leconte nous racontent les mésaventures de gens qui voient la mort passer à deux doigts de leur trouille. Le premier s’appelle Cyriaque. Sa grande peur, c’est « de paraître con sur son lit de mort. » Alors, il occupe le temps à épier les morts de son entourage pour voir comment ils s’y prennent pour se mettre à l’abri d’un tel accident. Il y a aussi le sort, qui lui joue des tours instructifs. Par exemple, il retape une ancienne glacière et soudain, patatras ! la trappe retombe, le voilà comme dans son cercueil, il s’imagine damné, et l’araignée qui pend dans un angle devient « l’œil de Caïn ». La nuit, sa femme ronfle scrupuleusement, et lui se retrouve dans son trou. Vous croyez que c’est éprouvant ? Pour Cyriaque sans doute que oui, et encore ; pour le lecteur, c’est désopilant. Parce qu’il y a le ton, le style, le regard. La preuve ? Voici la fin. Cyriaque a un saignement de nez carabiné. Il cherche dans un livre médical ce qu’il doit faire, puis ses idées se brouillent, il se souvient d’une phrase comique qui le fait rire, sur quoi surgit dans sa mémoire attendrie le « jeune aumônier rose qu’il avait eu au collège et qui était bien chahuté […] et qui répétait à chacun de ses cours, ce qui faisait bien rire : « Chaque état a ses grâces. »

Le deuxième récit met en scène « deux petits vieux » dans leur nouvelle vie de retraités. Bernard Leconte adore les petits vieux, sans doute parce qu’il en est un, « toujours se gaudissant et beuvant d’autant ». Jean évoque sa belle-mère, pauvre femme qu’une « pensée qui sort des ornières terrorise. » Il a un fils médecin, taquin, que son épouse étouffe (pas littéralement, rassurez-vous !) Il évoque un ancien collègue et dit de lui qu’il l’a toujours aimé « comme on aime les archétypes et les singes ». Il nous présente une autre connaissance qui a « des mélancolies à ressort » : il ne souffre de la mort de sa mère qu’au jour anniversaire de son deuil. Le pauvre lui parle de sa douleur, et voilà le commentaire : « il était drôle », non parce qu’il a de la peine, mais parce que le souvenir de sa mère lui fait dénigrer les femmes, alors que la sienne est toujours « aux petits soins » avec lui. Jean raconte d’autres souvenirs tout aussi « drôles », dont celui de son accident : une chute qui entraîna une luxation de la hanche, mais surtout un début de pleurésie. À cette occasion, il s’est amusé, comme s’il allait vraiment y passer, à terroriser sa femme en lui assénant ses dernières volontés, désopilantes à force de hauteur de vue. Et puis, rupture comme les aime Bernard Leconte, voilà qu’on vient lui montrer quelques photos de ses pitreries diverses, et tombant sur celle où son épouse le supplie de descendre du toit d’une cabane, et sur celle où elle le tire de la chaussée où il faisait le guignol entre les voitures, ces deux photos drolatiques le « transpercent, maintenant qu’elle a eu une embolie à l’âge de 63 ans. » Clap de fin, comme disent les cinéastes !

Le dernier récit met en scène un prêtre bon vivant et moqueur, un peu trop porté sur le vin, à qui il arrive un petit malaise qui le conduit à l’hôpital. Il y découvre dans le miroir qu’il se paie une tête assez pitoyable. Elle lui fait penser à celle d’un « petit curé de campagne » dans un film de Bresson ; mais lui n’avait pas la peau violacée. Alors, les paroissiens se révèlent tels qu’en eux-mêmes, les plus serviables demandant à l’évêque le renvoi du prêtre indigne. Retapé, le pauvre est reçu par le vicaire général : scène délicieuse, toute en finesses, en roueries et patelineries. Bref on décide sans rien décider, ce qui est le grand chic de notre société engraissée aux droits de l’homme et à la gelée citoyenne. Le curé, avant de reprendre le collier, se paie un gueuleton avec « un petit ballon de rouge. »

Voilà. C’est minuscule, et grandiose. Et c’est ainsi que les vieux cons sont merveilleux !

MON AUTOPSIE Jean-Louis Fournier

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