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Catalogne, Corse, Calédonie: le salut par les îles ?

Ni guelfes, ni gibelins en politique extérieure, ni girondins, ni jacobins en politique intérieure : telle est, depuis la révolution capétienne, la politique naturelle de la France. Or, en 2017, nous sommes bel et bien embourbés dans l’impossible combinaison d’un néo-jacobinisme européen suicidaire et d’une régionalisation contrefaite et dénaturée, ces bas-fonds où patauge le macronisme institutionnel. Mais le salut nous viendra-t-il des îles

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Catalogne, Corse, Calédonie: le salut par les îles ?

Que l’affaire catalane ait tourné au vaudeville ne doit pas nous cacher les leçons que la France doit en tirer pour elle-même. Leçons essentielles, puisqu’elles touchent à la structure non seulement de l’État, mais du pays lui-même. Il ne nous a pas échappé que si la tentative d’indépendance de la Catalogne a échoué, c’est que, contre l’attente de beaucoup, à commencer par les alliberadors de Barcelone eux-mêmes, l’Union européenne ne les a pas soutenus. Les liens établis entre Madrid et Bruxelles se sont révélés les plus forts.

Sur l’air de « l’Allemagne paiera »

Le premier réflexe a été de s’en réjouir, l’indépendance catalane ne pouvant que favoriser l’éclatement des nations européennes, aujourd’hui notre ultime rempart contre le mondialisme libéral. Mais l’Union européenne, cette vieillarde profondément déstabilisée par ses maux gériatriques, à commencer par le Brexit, se voit contrainte de s’appuyer sur les États pour survivre. Elle le fait d’autant plus volontiers que, désormais, un grand espoir est apparu : le président Macron veut s’engager dans la voie de la bruxellisation – ou de la frankfurtification – à outrance, avec une administration économique unique pour la zone euro. Derrière ce projet s’en profile un autre : la gouvernance politique unique. Giscard – s’en souvient-on ? – se rêvait en premier président de l’Europe. Visiblement, Emmanuel s’est saisi du flambeau de Valéry, admirant en lui-même le nouveau prophète d’une Europe qui, demain, nous rasera gratis. Un hymne à la joie, sur un air rappelant celui que la France a bien connu naguère : « l’Allemagne paiera ! »

C’est un jacobinisme d’un nouveau type qui nous est désormais administré, un néo-jacobinisme adapté au goût du jour et aux nouvelles réalités planétaires. On connaît cependant l’appétence de Macron pour la formule « et en même temps ». Sous un gros bon sens d’apparence fort louable, se dissimule l’acceptation de perspectives radicalement contradictoires, avec un risque élevé de perdre et la proie et l’hameçon. Donc, en même temps qu’on européanise, il importe de contrer l’euro-scepticisme qui gagne de plus en plus la classe moyenne et les masses populaires. Il faut paraître répondre aux velléités de la « base » d’assumer démocratiquement ses responsabilités citoyennes. Rien de plus approprié, donc, que de remettre au four ce vieux plat qu’on ne cesse de faire mijoter, en y ajoutant sans cesse de nouvelles herbes qu’on espère toujours plus capiteuses : la régionalisation.

« Dio vi salvi, regina ! »

Le cas de la Corse vient à point nommé illustrer notre propos. La Corse est une île, dit-on. C’est peu discutable. Mais il est tout aussi vrai qu’elle est reliée au continent par un pont au moins aussi fréquenté que ceux de l’île de Ré ou de Venise ! Un pont par où tout passe, y compris les bactéries et les virus de nos institutions républicaines. Depuis que Louis XV a donné à la France ce joyau de la Méditerranée (en même temps, il est vrai, que l’Ogre d’Ajaccio), son statut administratif a connu diverses vicissitudes en forme d’allers-et-retours : un département unique, puis deux départements, puis retour au département unique, puis, en 1975, le « 20 » à nouveau coupé en « 2A » et « 2B », et voilà qu’avec la loi « NOTRe » (notre République !) de 2015, elle est encore réunifiée. Ajoutons que, parallèlement à son statut « départemental », son statut « régional » a eu droit à sa dose de changements : un temps rattachée à la région Provence-Alpes-Côte d’azur, avant de devenir une région à part entière en 1982, une nouvelle loi l’a transformée, en 1991, en « collectivité territoriale à statut particulier », en attendant que la loi de 2015 fusionne départements et région en une seule entité, dite « collectivité à statut particulier », le mot territorial étant passé à la trappe. Pour les étapes oubliées dans cette liste, le lecteur aura sûrement rectifié de lui-même !

Alors comment imaginer que la formule actuelle soit plus durable que les précédentes ? En France, les régions tendent à enfler : big is beautiful, il leur faut être à la hauteur des seize Länder allemands, voire des cinquante États états-uniens. D’où ces monstres – on les dirait issus d’une manipulation génétique – que sont les régions Auvergne-Rhône-Alpes ou Grand-Est. Dans ce contexte où s’affrontent, dans la sauvage compétition mondiale, les grands requins de la vie économique, ne voit-on pas que la petite Corse, en tant que région, peinera à faire le poids ? Au moins tant que l’on considérera que l’économie constitue l’alpha et l’oméga de la vie humaine. Alors comment imaginer l’idée même d’une indépendance de la Corse ? Le paradoxe est que personne ne la croit possible, mais que son fantôme hante les imaginations et tient un rôle concret dans les réformes en cours.

Pourtant, quand nous avons entendu, non sans émotion, dans l’enceinte de la nouvelle assemblée d’Ajaccio, retentir dans sa version corse le Salve Regina, cette sublime prière que toute la catholicité chante avec tant de ferveur, les questions se bousculaient dans nos têtes. Ces prétendus indépendantistes sont-ils réellement capables de faire oraison, de s’adresser avec leur cœur à la Vierge Mère ? On aimerait tellement en être sûr ! Mais, revenant sur terre, on voudrait leur dire, comme à leurs homologues catalans, et comme aussi aux Kanaks de Nouvelle Calédonie : ne vous trompez pas d’ennemi ! Votre véritable adversaire, il est dans la tête de ces dirigeants de droite, de gauche et du marais ranci qui ne croient plus à la politique telle que nous l’a léguée la Grèce antique, qui ne croient plus au bien commun, et qui, dans leur matérialisme aseptisé, ne jurent que par une mythique « croissance » sans but ni raison.

Un porte-drapeau de la France dans le pacifique

À Nouméa, l’échéance, en 2018, du référendum prévu par les accords de 1998 va de plus en plus agiter les têtes. Pour les responsables français, voilà une exceptionnelle occasion d’aborder la question de la colonisation dans un contexte extérieur aux regards croisés entre la France et l’Algérie ou entre la France et l’Afrique noire. Encore que la déclaration imbécile plus encore qu’odieuse de Macron à Alger lors de sa campagne électorale ne le met pas en bonne position pour aborder le sujet d’une manière sereine. Nous devons recréer un climat favorable à la clarification du rôle de la France dans le monde, une France généreuse, ouverte, disposée à aider les populations ou les peuples avec qui elle peut établir des relations de confiance. Nul doute qu’avec les Kanaks, compte tenu de la situation de la Nouvelle-Calédonie et de la place qu’y tiennent les Caldoches, il y a une carte à jouer.

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Ce référendum doit apparaître le moins possible comme un couperet, avec vainqueurs et vaincus. On peut sensibiliser la population calédonienne à cette certitude que, même en cas d’indépendance, il serait impossible pour l’île de se passer de la France, et qu’il est donc de loin préférable qu’il y ait un vrai projet commun, sans démagogie, mais avec une puissante ambition. Il ne peut s’agir que d’un projet intégralement français. Serait alors confié à l’île un rôle de porte-drapeau de la présence de la France dans cette zone du Pacifique, prise en tenailles entre l’influence anglo-saxonne et celle, grandissante, de la Chine.

Alors, le salut nous viendra-t-il des îles ? Dio vi salvi, Regina !

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