Monde
« Nos dirigeants actuels invoquent souvent la révolution »
Un entretien avec Ludovic Greiling. Propos recueillis par courriel par Philippe Mesnard
Article consultable sur https://politiquemagazine.fr
Toute la politique de l’Elysée ne semble viser qu’à faire de la France le meilleur vassal de Berlin.
Il n’aura pas fallu longtemps à notre Jupiter élyséen pour dégringoler de son Olympe. Au début de l’été, les médias extatiques nous l’assuraient : on allait voir ce qu’on allait voir ! Tonnerre de Zeus ! Avec ce jeune président fraîchement élu que le monde entier nous enviait, la France ne tarderait pas à retrouver sa place sur la scène internationale. Theresa May, Vladimir Poutine, Donald Trump n’avaient qu’à bien se tenir ! Ne parlons même pas de ces autres minus internationaux, tels le Chinois Xi Jinping ou l’Indien Narendra Modi, que notre phénix tricolore ne tarderait pas non plus à mettre à sa botte par le seul emploi d’un charisme irrésistible et d’une intelligence géniale. Las ! L’automne n’est même pas encore arrivé et déjà notre dieu des dieux en est réduit à compter ses plaies et bosses après une chute de popularité vertigineuse.
Rien n’a marché comme prévu dans aucun domaine et moins encore en matière de politique internationale. Invité pour les festivités du 14 juillet, ce butor de Donald Trump n’a pas daigné revenir sur sa décision de sortir les États-Unis de l’accord de Paris sur le changement climatique, lequel n’a dès lors plus la moindre signification. Convié à Versailles, ce renard de Vladimir Poutine en est reparti, dit-on, avec une opinion désastreuse sur son hôte jugé aussi fat qu’inexpérimenté. Quant à la récente tournée des pays d’Europe centrale entreprise sous prétexte d’y arracher quelques concessions sur le statut des travailleurs détachés, celle-ci s’est carrément transformée en un pugilat à distance avec Mme Beata Szydlo, le chef du gouvernement polonais. Affrontement fort dommageable pour les intérêts français alors que la Pologne, puissance montante de la région, a commencé à rassembler autour d’elle l’ensemble de ses voisins lassés des prétentions de l’impérialisme allemand. Le pire est qu’en s’en prenant à Varsovie pour son refus de tout accueil de « migrants », notre impudent donneur de leçons est apparu aux yeux de cent millions d’Européens de l’Est comme le petit télégraphiste d’Angela Merkel.
Celui que plus personne ne se risque à appeler Jupiter, sauf par dérision, ne paye pas seulement ainsi l’extraordinaire boursouflure égocentrique qui a caractérisé chacune de ses paroles et chacun de ses actes depuis son accession à la tête de l’État. Si le mal se résumait à cela, il serait aisément corrigible. Après tout, Emmanuel Macron ne serait pas le premier jeune dirigeant à croire que l’art de la diplomatie repose sur la séduction personnelle avant d’en découvrir les arcanes infiniment plus complexes. Le président Kennedy en était passé par là, qui sut rattraper sa candeur initiale face au retors Khrouchtchev lors de la crise de Cuba. De nombreux indices donnent, hélas, à penser que les premières erreurs de la présidence Macron ne résultent pas d’un égarement éphémère dû à l’ivresse passagère du pouvoir mais trouvent leur source dans une durable et regrettable arrogance de caste.
Les dérives immédiates de cette présidence ne peuvent s’expliquer en effet par les seuls traits de caractère fort peu sympathiques du personnage. À ce niveau de pouvoir, nul ne commet tant d’erreurs et
si profondes s’il n´y est en permanence incité ou encouragé par un entourage partageant une identique vision des choses et persuadé du caractère inéluctable autant que souhaitable de certaines évolutions allant pourtant à l’encontre des voeux de l’opinion. Avec Emmanuel Macron, incarnation caricaturale de la symbiose entre la haute fonction publique et les milieux d’affaires, est arrivé à sa pleine maturité un processus entamé depuis plusieurs décennies : celui de la substitution progressive des politiques par des « élites » administratives issues des mêmes filières de formation et souvent du même milieu social. Insensiblement, les mandarins ont remplacé ceux qui, à l’image d’un Chirac ne parlant jamais que de « bonne gouvernance », avaient renoncé au plein exercice de la souveraineté politique. L’intendance ne suit plus, elle règne.
En ce sens, si l’actuelle présidence doit avoir une utilité, ce sera peut-être de révéler aux Français la nature et la gravité du mal qui ronge nos institutions. Car ces fonctionnaires propulsés au sommet de l’État sans avoir rien saisi de la différence fondamentale entre l’administration des choses et le gouvernement des hommes, tout imbus de l’idéologie de la primauté de l’économie et du gouvernement par la réforme perpétuelle dont ils ont été gavés comme des oies à Sciences-Po puis à l’ENA, avaient pu cacher leur malfaisance derrière l’écran protecteur que leur offraient les membres d’une classe politique aussi défaillante que corrompue. Or, l’élection d’Emmanuel Macron a marqué le triomphe décisif de cette caste et la voilà placée soudain sous la lumière crue des projecteurs. Chacun découvre alors avec stupeur l’indigence intellectuelle de ces dirigeants d’un nouveau genre qui ne craignent pourtant pas de se réclamer du «cercle de la raison ».
Il n’est aucun domaine où cette médiocrité de la pensée ne se trahit plus que dans les projets affichés en politique extérieure. L’ambition majeure du pouvoir paraît s’y résumer à une unique obsession : assurer à notre pays la place de meilleur vassal de Berlin au sein d’une Union Européenne sacralisée et vouée par nature à l’hégémonie allemande. Depuis trois mois, les innombrables « sacrifices » qu’on prétend imposer aux Français et les coupes pratiquées jusque dans les budgets régaliens ne sont-ils pas justifiés par un seul argument : il faut satisfaire aux exigences de la Commission de Bruxelles – elle-même aux ordres de l’Allemagne – pour permettre demain au jeune Emmanuel Macron de parler sur un pied d’égalité avec Mme Merkel et leur donner la possibilité commune de « relancer l’Europe » ?
Fatale illusion, fruit de ce mélange d’obsession européiste, d’incompétence politique et d’orgueil qui caractérise notre caste technocratique depuis plusieurs décennies ! Car il faut être aveugle comme un européiste français pour ne pas voir ce qui saute aux yeux des dirigeants polonais, hongrois ou tchèques tant méprisés par M. Macron, à savoir que l’Allemagne réunifiée n’est décidée à jouer que sa propre carte au service de ses seuls intérêts nationaux. Pendant que rêve notre narcissique président, Mme Merkel place ses pions avec un cynisme total, traitant avec Moscou les modalités du projet de gazoduc Nord Stream 2 qui reliera le littoral russe à l’Allemagne par la Baltique au détriment de l’ensemble des pays de l’Europe centrale ; s’imposant comme le partenaire privilégié de Pékin en empêchant l’Union européenne d’adopter d’indispensables mesures de sauvegarde. Pour Jupiter, mais aussi pour les Français, c’est un réveil douloureux qui se prépare…