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Jean-Michel Blanquer : Un ministre de l’Éducation atypique, donc normal

De bonnes résolutions enfin. Mais qu’en sera-t-il ?

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Jean-Michel Blanquer : Un ministre de l’Éducation atypique, donc normal

On se souvient du candidat Macron visitant une maternelle et demandant aux enfants si certains d’entre eux avaient des parents du même sexe. Une fillette avait alors laissé échapper un sonore « — Hein ? », éberluée qu’on pût proférer une telle ânerie. Devenu président on pouvait donc craindre qu’arrive à la tête de la rue de Grenelle une Vallaud-Belkacem bis. Or, à l’annonce de la nomination de son successeur, la ministricule en perdit son habituel sourire de communicante. C’était de bon augure.

Du bon nouveau

Le nouveau ministre de l’Éducation, Jean-Michel Blanquer affiche une ambition louable : rétablir la confiance. L’institution scolaire surnommée le Mammouth n’inspire plus, en effet, un tel sentiment depuis longtemps. On ne peut donc que se réjouir d’une telle lucidité. D’autant que ses premières prises de position semblent être d’une autre nature que l’écran de fumée de la loi de moralisation de la vie publique adoptée fin juillet et prétendant rétablir la confiance perdue avec les élus. Elles s’inscrivent dans un arrêt de l’œuvre de déconstruction et de décervelage. C’est déjà beaucoup. Pourquoi bouderait-on son plaisir d’entendre un ministre dire aux enfants que lire est plus important que de regarder la télé, leur proposer les Fables de la Fontaine comme lecture d’été, déclarer qu’il faut en finir avec la méthode globale d’apprentissage de la lecture, que le vocabulaire et la grammaire doivent retrouver toute leur place dans le quotidien des élèves, que le rôle premier de l’école n’est pas d’abord l’apprentissage de l’inepte « vivre ensemble » mais l’apprentissage de la lecture, de l’écriture et du calcul, que les Enseignements Pratiques Interdisciplinaires qui étaient souvent du grand n’importe quoi doivent être reconsidérées et cessent d’être la priorité, qu’il faut rendre aux communes la liberté du rythme scolaire, voler au secours du grec et du latin en collège et rétablir les classes bilangues en 6ème ? Bref, c’est la désastreuse réforme du collège qui est enterrée et des principes de bon sens qui sont affirmés. A droite des esprits chagrin disent (avec raison) que le ministre n’a encore rien dit au sujet de l’enseignement de la théorie du genre qui a fait polémique lors du mandat précédent, ni sur l’enseignement de l’histoire pourtant sinistré. À gauche le ministre est déjà qualifié de « droitier » et la vieille rengaine de la « tentation réac » inspire déjà Libération et tous les gardiens du Temple de l’égalitarisme et du cosmopolitisme.

S’inspirant peut-être de la fable du « Meunier, son fils et l’âne », Jean-Michel Blanquer poursuit sa reconquête de la confiance avec deux atouts. D’abord, et contrairement à ses trois prédécesseurs, le fanatique républicain Peillon, l’apparatchik ambitieux Hamon et l’idéologue inculte Vallaud-Belkacem, Blanquer est un homme expérimenté issu de la société civile et non un partisan carriériste. Cela donne quelque crédit à son souhait de « dépolitiser » l’éducation à l’encontre des prescriptions d’un Meyrieu ou d’un Bourdieu. Cela le distingue aussi de ces ministres hors-sol héritant d’un ministère trop grand pour eux. C’est aussi un homme de méthode. « Il faut garder ce qui marche, arrêter ce qui ne marche pas », a-t-il déclaré pour justifier l’arrêt du dogmatisme en matière de rythme scolaire. « Il n’existe aucune étude pour montrer que tel ou tel système est le meilleur ». Ainsi procède-t-il pour désarmer les experts en idéologie. Ne vient-il pas d’en appeler aux travaux les plus sûrs en matière de neurosciences pour trancher en faveur de la méthode syllabique de la lecture ? Cet empirisme est sa marque, comme en témoigne la prise en compte d’expériences scolaires faites dans de multiples pays et dont son livre L’École de la vie fait état. Méthodique, le ministre l’est aussi en sachant qu’on ne peut tout faire à la fois. Il le dit dans une lettre adressée aux enseignants : « Il faut travailler pour le long terme ». C’est la raison pour laquelle son projet Bâtir l’Ecole de la confiance ne s’applique pour l’instant qu’à l’école et au collège et se décline en quatre premières séries de mesures : le dédoublement des classes dans le primaire pour lutter contre les difficultés scolaires ; la liberté des rythme scolaires pour les communes; davantage de souplesse et d’autonomie accordées aux collèges dans l’organisation des enseignements ; enfin l’opération « devoirs faits », c’est-à-dire la possibilité pour les élèves de faire leurs devoirs dans leur collège, de façon encadré et sur la basse de la gratuité et du volontariat.

Que faire contre l’inertie du système ?

Ces premières mesures constituent un coup d’arrêt à certains dommages causés par un pédagogisme destructeur. Mais beaucoup de questions demeurent. Que veut vraiment Jean-Michel Blanquer ? Et que lui sera-t-il permis de faire ? Comment son pragmatisme et son réalisme s’accommoderont-ils de la Macronie ? Même si son ami Baroin qualifie le nouveau ministre de l’Education de franc-maçon sans tablier, il y a de grandes différences culturelles et philosophiques entre lui et le président. Pour Macron, Blanquer ne représente-t-il qu’un appât de plus pour les gens de droite sensibles aux questions d’éducation ? Et si tel est le cas quels gages ont-ils été donnés au ministre ? S’il continue dans la voie commencée, ne risque-t-il pas de se retrouver dans une position de grand écart fort difficile à tenir ? Le long terme qui lui semble indispensable pour réussir pourrait alors ne pas lui être accordé.

Et puis, il y a le Mammouth lui-même ! Sa lourdeur et son inefficacité. Trop d’habitudes sclérosantes, trop d’archaïsme syndical (pas général cependant), trop de théories pédagogiques fumeuses, trop d’idéologie, trop de dévoiements de bonnes mesures constituent le quotidien du système éducatif pour qu’on puisse espérer une mise en œuvre efficace et sereine d’une réforme heureuse.

De surcroît nous sommes toujours dans le contexte de l‘emprise de l’État sur l’éducation et d’une ignorance généralisée qui profite davantage aux politiques qu’elle ne les dérange. « Il est bon que le peuple soit guidé et non qu’il soit instruit », écrivait Voltaire. Et dans L’Émile, Rousseau conseillait au maître de pratiquer la ruse afin que l’enfant soit formaté comme on souhaite tout en se croyant libre : « Qu’il croie toujours être le maître et que ce soit vous qui le soyez. Il n’y a point d’assujettissement si parfait que celui qui garde l’apparence de la liberté. » La démocratisation de l’éducation s’est inspirée de ces grands principes. Ils ont conduit à démocratiser l’échec scolaire et abouti à l’interruption volontaire de l’héritage culturel national. Ainsi en est-on arrivé à ce qu’un essayiste à nommé « la fabrique du crétin ». Il n’est pas sûr que J.M Blanquer ait conscience de cette origine du malaise contre lequel il prétend agir.

Au total, le ministre en ses débuts a réussi un virage prometteur… mais les fruits passeront-ils la promesse des fleurs ? On l’attend sur les méthodes et le contenu des enseignements. Il y a certes beaucoup à faire tant le malaise est profond. « Garder ce qui marche, arrêter ce qui ne marche pas » revient à peu près à refonder l’ensemble du système éducatif. Il n’y a donc pas d’autre moyen, étant donné le contexte mental et intellectuel actuel, que cette politique des petits-pas qu’il vient d’inaugurer afin de mettre fin à la déculturation généralisée de l’Éducation nationale et regagner le terrain perdu de la culture nationale. Si telle est son intention, on ne peut que souhaiter à ce ministre atypique de réussir.

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