Editoriaux
Organisations Négligemment Gavées
À Gaza, le Hamas détourne l’argent des subventions, d’où qu’elles viennent, pour construire un réseau souterrain et de petites manufactures d’armes.
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Jusqu’au 25 janvier dernier, François Fillon se présentait, à l’esprit de la majorité de nos compatriotes comme un homme honnête, compétent, qui avait fait ses preuves comme ministre, puis comme chef du gouvernement. Son programme d’austérité drastique effrayait, mais représentait pour de nombreux électeurs l’expression de la vérité et du bon sens, la seule voie possible de relèvement dans la France sinistrée de ce début de XXIè siècle.
Le candidat proposait un remède de cheval, très amer, douloureux, mais nécessaire et administré par un médecin en lequel on pouvait avoir confiance, un homme intègre. Après toutes les désillusions nées du hollandisme, du valsisme, du sarkozysme, du chiraquisme, toutes politiques caractérisées par des promesses non tenues et une austérité travestie en rigueur, qui n’osait pas s’avouer comme telle, taisait la dramatique situation de notre pays et prétendait « sauver » un modèle républicain inexorablement condamné, Fillon, avec son apparent « parler vrai » et sa thérapie de choc avait ses chances, tant nos concitoyens, écœurés et conscients de la nécessité de réformes radicales, étaient prêts à tout accepter (ou presque).
Ils l’étaient parce qu’ils croyaient avoir enfin trouvé en Fillon un chef probe, fort, uniquement préoccupé de l’avenir de son pays ; ils voyaient dans ces qualités le signe certain de la valeur de son programme politique et le gage du succès de son application. Un tel chef disait la vérité, et il allait réussir parce qu’il était totalement adonné au bien public. Le succès de Fillon reposait sur ce sentiment de confiance qui le liait aux électeurs.
Le charme est rompu, désormais, et définitivement. Les Français ont découvert que Fillon n’est pas ce chef vertueux qu’ils attendaient. Ils ont découvert que le candidat de la droite est comme tous les politiciens, un cacique qui profite des avantages du système et en fait profiter ses proches. Voilà qui est du plus mauvais effet pour un homme présenté jusqu’alors comme un serviteur irréprochable de la nation.
Voilà aussi qui est particulièrement choquant de la part d’un homme qui préconise sans sourciller les mesures les plus draconiennes à ses compatriotes : gel des salaires, abolition des 35 heures (déjà de fait supprimées dans maints secteurs et entreprises), augmentation de la TVA, déremboursements d’un grand nombre de prestations médicales, suppression de 500 000 postes de fonctionnaires (au risque d’une décrépitude accrue d’un service public déjà bien malade).
Ces mesures, Fillon ne peut plus les proposer sans susciter un profond sentiment de scandale, d’injustice et de révolte. Or, elles étaient le point fort, voire la raison d’être de sa candidature. Qu’il les mette sous le boisseau en se rabattant sur un autre thème jugé porteur (tel la sécurité, sur lequel il semble compter pour retenir l’électorat de droite), et il n’est plus rien, sa candidature perd tout son intérêt et sa force d’attraction. François Fillon ne dispose pas de plan B. Déjà, à ce seul point de vue, il est perdant.
Nous n’examinerons pas ici dans le détail l’exactitude ou la fausseté des accusations lancées contre Fillon. Nous nous contenterons de rappeler qu’à la suite de révélations du Canard enchaîné, Penelope, son épouse, est accusée d’avoir perçu 813 440 euros bruts au titre d’assistante parlementaire, alors qu’elle n’était pas enregistrée comme telle à l’Assemblée nationale et affirmait ne pas faire de politique, et qu’elle se révèle incapable de fournir la preuve de son travail en cette qualité, ce qui permet de supposer qu’il s’agissait là d’un emploi fictif payé au moyen d’un détournement de fonds publics.
De plus, Mme Fillon aurait touché 100 000 euros de la Revue des Deux Mondes en qualité de conseillère littéraire, entre mai 2012 et décembre 2013, alors que son activité dans ce périodique se ramène à deux comptes rendus de lecture. Enfin, les deux enfants du couple auraient touché 84 000 euros en tant qu’assistants parlementaires de leur père, alors sénateur, entre 2005 et 2007, là encore sans être officiellement reconnus comme tels.
François Fillon se défend pied à pied, affirmant la réalité du travail de son épouse et de ses enfants et alléguant l’imprécision des textes législatifs et réglementaires relatifs au recrutement et à l’activité des attachés parlementaires. Surtout, il se déclare victime d’un complot ourdi contre lui par ses adversaires politiques et l’Etat lui-même.
Il conteste la légitimité de l’enquête du Parquet financier, qui a commencé presque dès le lendemain de la révélation du Canard enchaîné. Et il reçoit des appuis inattendus. Ainsi l’avocat de gauche Eric Dupond-Moretti reproche au Parquet national financier d’avoir engagé son enquête au mépris du principe de la séparation des pouvoirs législatif et judiciaire et rappelle qu’il appartient au bureau de l’Assemblée nationale de se saisir d’une telle affaire.
Même son de cloche de la part de la constitutionnaliste Anne-Marie Le Pourhiet, laquelle rappelle que les assemblées législatives ont la responsabilité de leur propre police, qu’il n’existe aucun texte réglementant « le choix, le temps, le lieu, la quantité et les modalités de travail des collaborateurs parlementaires » et que « l’idée de faire intervenir le juge pénal dans la façon dont un représentant de la Nation organise l’exercice de sa fonction est une nouveauté parfaitement soudaine ».
Treize juristes, politiquement neutres estiment que la procédure engagée contre le candidat viole le droit constitutionnel et est donc illégale, rappellent que les assemblées législatives disposent à leur guise de leurs crédits de fonctionnement, et précisent que les faits reprochés à Fillon n’entrent pas dans les attributions normales du PNF.
A l’évidence, François Fillon a raison de se déclarer victime d’un « coup d’Etat institutionnel », car c’en est bel et bien un. Certes, d’aucuns, tels le juriste Dominique Rousseau, affirment que le PNF est compétent en cette affaire puisque les crédits alloués à la rémunération des assistants parlementaires proviennent de fonds publics et que le principe de la séparation des pouvoirs s’applique à la liberté d’expression des parlementaires et non à l’utilisation des sommes destinés à salarier leurs collaborateurs.
A l’évidence, il existe ici un flou juridique résultant de l’imprécision de la frontière entre les conséquences du principe de la séparation des pouvoirs et les textes relatifs à l’utilisation de fonds publics. Et ce flou permet aux adversaires de Fillon de mener leur offensive suivant une parfaite apparence de respect du droit, alors que la procédure engagée est pourtant hautement contestable.
Ainsi, François Fillon a beau dénoncer la cabale, menée contre lui, le simple fait qu’en raison du flou juridique, la procédure suive implacablement son cours, plaide contre lui, et le grand public pense qu’il doit bien être fautif puisque des juges persistent à le poursuivre. Alors même que sa mise en examen reste incertaine et, en tout cas, ne lui a pas été notifiée, il fait figure de coupable aux yeux de la majorité de ses compatriotes. Et il faut bien le dire, la réalité de ces rémunérations renforce fortement cette impression.
Car enfin, voilà un homme qui paye grassement ses proches sur fonds publics, alors même que leur statut de collaborateurs et la réalité de leur travail sont on ne peut plus douteux. Lors même qu’il n’y a là rien d’illégal, ces faits sont profondément choquants, surtout dans la mesure où ils émanent d’un homme qui préconise pour ses compatriotes l’austérité la plus drastique.
Mais enfin, Fillon n’est pas le premier ni le dernier de nos notables à agir de la sorte, à profiter du système, à vivre bien au sein d’une population qui connaît la pauvreté, la précarité, la pénibilité des conditions de travail et le chômage, à ne pas s’appliquer la rigueur qu’il entend imposer à ses compatriotes.
On s’acharne sur lui parce qu’il est le candidat de la droite à l’élection présidentielle et que, jusqu’au 25 janvier dernier (date de l’éclatement de l’affaire), il semblait très bien parti pour remporter cette dernière.
« On », c’est la gauche, bien entendu, à commencer par le parti socialiste et ses satellites (Parti radical de gauche, EELV), qui, eux, semblent promis au plus retentissant des échecs. Et, bien entendu, c’est l’Etat, aux mains du PS. Ce dernier, à l’évidence, laisse toute latitude aux instances judiciaires, au mépris du droit. Au mépris surtout de la tradition de suspension du cours d’une affaire durant une campagne électorale.
On peut gager sans risque d’erreur que le Parquet financier et la Parquet tout court ne refuseraient pas une telle suspension sans l’appui tacite de l’Etat. Hollande n’a cessé, depuis le début de cette affaire de défendre l’institution judiciaire, critiquée par Fillon, et son Garde des Sceaux, Jean-Jacques Urvoas, ne s’est nullement ému de la divulgation à deux journalistes du Monde des procès verbaux de l’enquête diligentée par le PNF… lequel n’a éprouvé nul besoin de faire le nécessaire pour avoir des éclaircissements à ce sujet. Oui, décidément, François Fillon a raison d’estimer qu’en l’occurrence, il n’est pas traité comme un justiciables comme les autres.
Il reste à se demander quelle est la cause profonde de ce torpillage délibéré de la candidature de Fillon.
Certes, la gauche envisageait sans plaisir la victoire annoncée de l’ancien Premier ministre, et de la droite aux prochaines législatives ; mais nous n’en aurions pas été à la première alternance, depuis 1981.
C’est mal connaître notre gauche hexagonale, qui diffère de ses homologues européennes. C’est qu’en France, justement, l’alternance – la vraie – n’est pas permise.
Que les seniors se souviennent du grand projet de la gauche durant les années 70. Elle affirmait alors vouloir créer dans le pays, une fois maîtresse du pouvoir, une « situation irréversible », suivant sa propre expression.
Cela signifiait clairement – et ses dirigeants l’expliquaient sans relâche – que, même si elle revenait au pouvoir, la droite se trouverait dans l’impossibilité de revenir sur les mesures prises par la gauche, de les abroger, d’initier une politique rompant nettement avec elles et procédant d’une vision différente de la société et du monde.
C’est ce que, de nos jours, on appelle l’ « effet cliquet », présenté comme une loi naturelle d’impossibilité de retour sur les « acquis », et qui tient lieu d’alibi à la lâcheté de la droite républicaine. Et justement, depuis la victoire « historique » (on a les victoires et l’histoire qu’on peut) de la gauche en 1981, la France a connu bien des alternances et des retours au pouvoir de la droite. Jamais celle-ci n’est revenue sur les réformes opérées par la gauche, que ce soit en matière économique et sociale ou dans les domaines des mentalités, des mœurs et de la « culture » (les guillemets s’imposent, en l’occurrence).
Elle n’a eu de cesse de se comporter en gestionnaire loyale des « conquêtes » politiques et sociales de la gauche, et de se défendre, comme un beau diable, de vouloir les escamoter. Mieux, elle a constamment juré ses grands dieux qu’elle se réclamait des mêmes valeurs que la gauche, les « valeurs de la république », de la démocratie universelle et mondialisée et des droits de l’homme, de la femme et du mouflet.
C’est à cette seule et impérieuse condition qu’elle peut voir reconnue sa légitimité de « droite républicaine » et son droit à gouverner de temps en temps, le temps que la gauche fatiguée reconstitue ses forces, assurant ainsi un intérim durant lequel elle ne change rien à rien. Et c’est à peu près ce qui s’est passé sous les présidences de Chirac et de Sarkozy et les gouvernements Chirac, Balladur, Juppé, Raffarin, Villepin, Fillon.
Or, voilà que Fillon se présentait à la présidentielle avec un programme de rupture totale avec cette passivité complaisante, et entendait revenir sur les acquis de la gauche, et avec de grandes chances de victoire. Intolérable. Le torpillage de sa candidature s’imposait. Lui écarté, le prochain président serait soit Macron, soit Juppé (la victoire de Marine restant hautement improbable au second tour de la présidentielle).
Le premier, longtemps socialiste et ancien ministre de Hollande et Valls, continuerait la politique de ces derniers, et, faute du soutien d’une grande formation politique, serait obligé d’admettre des ministres PS dans son gouvernement afin de disposer d’une majorité parlementaire ; quant au second, on pouvait tenir pour assuré qu’il ne changerait rien à la politique conduite sous le quinquennat qui s’achève. Dans les deux cas, la gauche reste au pouvoir : avec Macron, elle y participe ; avec Juppé, elle voit ses acquis sauvegardés et ses « valeurs » continuer de tenir lieu de tables de la Loi de notre belle République.
Tel est le sens profond de la formidable offensive lancée contre Fillon depuis le 25 janvier. Le plus remarquable – le moins étonnant, aussi – réside en ceci que, vraisemblablement, elle ne résulte d’aucun plan concerté ou complot associant des personnes et des groupes s’entendant dans un but précis. Elle est née et s’est développée le plus naturellement et le plus spontanément du monde.
Le Canard enchaîné a lancé l’affaire sans consulter préalablement personne, le PNF a ordonné l’enquête comme par réflexe, l’Etat a laissé les mains libres à la justice, les médias se sont déchaînés instinctivement… et la droite la plus bête du monde a suivi le mouvement, comme d’habitude, courant pour rattraper le train en marche, au nom de la probité et des vertus républicaines les plus romaines.
Le grand organisme républicain a tout naturellement secrété ses anticorps contre cet antigène que constituait le programme politique de Fillon__ à supposer d’ailleurs que le candidat l’eût effectivement appliqué en cas de victoire, ce qui n’est pas certain du tout. Craignons d’ailleurs que cette métaphore biologique soit inexacte ; en fait, notre société ressemble plutôt à un corps sidaïque dont toutes les défenses sont paralysées par le virus qu’il porte.
Notre système neutralise spontanément celui qui en conteste (ou semble en contester) les « valeurs », les principes, les règles et les « acquis ». Fillon en fait l’amère expérience aujourd’hui. Comme disait Anatole France, « la République gouverne mal, mais se défend bien ».