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Un mariage virtuel

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Un mariage virtuel

Le « mariage homosexuel », cet étrange oxymore, reste sous la dépendance du mariage hétérosexuel, ce curieux pléonasme. Loin d’assurer leur liberté aux couples homosexuels, la juridicisation de leur lien affectif sous la forme d’un mariage les soumet au modèle dominant du mariage hétérosexuel.

Tous les arguments pro ou contra le mariage gay ont été débattus sans convaincre les opposants au projet de loi ou ses partisans. Chaque camp est resté sur ses positions et a plus pensé à déconsidérer son adversaire qu’à envisager le problème en lui-même. Dans quelle mesure peut-on en effet justifier, non pas le « mariage pour tous », puisque cette formulation trop large buterait sur l’interdit de l’inceste, mais le « mariage homosexuel », c’est-à-dire l’union civile entre deux personnes de même sexe, en grec homoion ? Dans toutes les sociétés, le mariage est une organisation rituelle d’ordre religieux ou juridique entre un homme et une femme. Il permet à un couple d’élever des enfants en se prolongeant en famille, l’ensemble des familles reproduisant à chaque génération la société concernée. L’article 16 de la Déclaration universelle des droits de l’homme en convient : « À partir de l’âge nubile, l’homme et la femme, sans aucune restriction quant à la race, la nationalité ou la religion, ont le droit de se marier et de fonder une famille. » Le même article précise que « l’homme et la femme » possèdent « des
droits égaux au regard du mariage, durant le mariage et lors de sa dissolution ». Il n’est pas fait mention d’une autre forme d’égalité qui concernerait les personnes de même sexe. Cet article 16 lie naturellement le mariage et l’engendrement des enfants : « La famille est l’élément naturel et fondamental de la société et a droit à la protection de la société et de l’État. » Le lien
matrimonial entre la femme, qui peut porter des enfants, et la famille se trouve impliqué par le mot latin matrimonium qui signifie la « maternité ». Quant au terme de « mariage », il est dérivé de maritus, le mari, qui a donné au féminin marita, la mariée ou l’épouse. On voit que le mariage, parce qu’il est lié à la rencontre d’un mari qui engendre et d’une épouse qui met au monde, implique que les deux partenaires soient de sexes différents. L’instauration du mariage homosexuel revient ainsi à faire une révolution sémantique qui se prolonge, Madame Taubira en a convenu, en « réforme de civilisation », en fait en révolution anthropologique.

Quel habitus ?

Toute société est fondée sur l’imitation par les générations nouvelles des façons de vivre des précédentes générations. On sait que Pierre Bourdieu a conceptualisé ce « système de dispositions réglées » sous le terme d’habitus. Mais l’imitation du mode de vie ancestral peut prendre deux formes d’habitus. D’une part, les enfants peuvent reproduire les paroles, les gestes et les actions de leurs parents, comme le fils d’un paysan, d’un ouvrier ou d’un médecin peut reproduire le métier de son père. L’imitation est ici réelle même si elle prend, à chaque génération, des formes différentes. D’autre part, les enfants peuvent simuler ces mêmes paroles, gestes ou actions des parents, comme lorsqu’ils jouent à la poupée ou au gendarme et au voleur. Toute société fait usage de ces deux formes d’imitation, en reproduisant ses mœurs dans la réalité de la vie publique ou en les simulant dans la fiction de l’œuvre artistique. Œdipe roi, Macbeth ou Tartuffe ne reproduisent pas plus la réalité politique de la Grèce, du Danemark ou de la France que Madame Bovary ne reproduit la vie sentimentale de Flaubert ou la situation de la femme de son époque. Ils la simulent exactement comme la Fête des Fous, au Moyen Âge, simulait la vie religieuse au point d’élire un Pape des Fous, ou comme les Saturnales, à Rome, simulaient la vie publique au point de permettre aux esclaves de s’égaler aux maîtres.

Ces jeux n’avaient pourtant qu’un temps et leur simulation n’était que virtuelle, et souvent joyeuse, là où la reproduction sociale était bien réelle, et parfois cruelle. Il en va de même pour le mariage homosexuel. Quoi qu’on pense de sa forme juridique, son imitation du mariage hétérosexuel n’appartient pas au mode de la reproduction, mais au mode de la simulation. Pour une raison qui est plus biologique que sémantique : il est impossible que deux personnes de même sexe parviennent à reproduire un être humain. À défaut de réussir cette reproduction réelle, elles en sont réduites à une simulation virtuelle. De ce fait, le « mariage homosexuel », cet étrange oxymore, reste sous la dépendance du mariage hétérosexuel, ce curieux pléonasme. Loin d’assurer leur liberté aux couples homosexuels, qui ont déjà la possibilité de vivre ensemble et de s’aimer, la juridicisation de leur lien affectif sous la forme d’un mariage les soumet au modèle dominant du mariage hétérosexuel. À la différence des personnages de contes de fée qui, après bien des vicissitudes, se marient à la fin du récit et ont beaucoup d’enfants, les homosexuels qui, après bien des efforts, obtiendront le mariage gay n’auront connu qu’un simulacre d’union civile puisqu’ils ne pourront pas avoir d’enfants.

On pervertit à la fois la nature, la logique et le droit en admettant un « mariage pour tous » qui est en réalité une « parenté pour personne ». Un homosexuel ne peut être un véritable « parent » puisque le terme de « parent », issu du verbe latin parere, désigne celui ou celle qui « enfante ». Aussi les partisans du mariage généralisé substituent-ils au terme de « parenté » le nouveau terme de « parentalité ». Mais le changement de mot ne fait rien à l’affaire. La parenté restera l’affaire des hétérosexuels qui peuvent engendrer, et la prétendue « parentalité » ne sera que l’imitation stérile de la véritable « parenté ». Le droit de se marier ne sera suivi du droit d’élever des enfants qu’à la condition qu’une union hétérosexuelle étrangère au couple homosexuel intervienne. Où se situe alors la différence sexuelle recherchée par les partisans du « mariage pour tous » sinon dans la différence sexuée que ne peuvent assumer les homosexuels ?

La virtualité, source de droit ?

La reconnaissance de cette caricature de mariage ouvre la porte à toutes les unions civiles possibles. Pourquoi ne pas légaliser la polygamie et l’inceste ? N’importe quel homme et n’importe quelle femme auraient le droit de se marier avec n’importe qui en bouleversant toutes les filiations. Ce mariage nouveau conviendrait à tous les êtres vivants ou non. Internet indiquait récemment qu’un Australien catholique, Joseph Guizo, s’était marié avec son labrador, Honey. Émily Mabou, au Ghana, s’était déjà mariée avec son chien de 18 mois en présence d’un prêtre en juillet 2009. Quant à Hermione Wayle, une Anglaise de 24 ans, elle a tenté sans succès de se marier, le 31 janvier 2010, avec son ordinateur MacBook nommé Alex.

Si la réalité est source de droits, la virtualité ne l’est pas puisqu’elle emprunte les droits qu’elle réclame à la réalité. Les homosexuels mariés civilement ne pourront fonder une famille qu’en faisant usage de la Procréation médicalement assistée et de la Gestation pour autrui, à un père géniteur et à une mère porteuse. Mais ils ne pourront se passer d’une reproduction biologique pour compenser leur simulation juridique. Loin de donner des droits réels aux couples homosexuels par la simulation d’un mariage et d’une famille virtuels, le mariage entre deux personnes de même sexe les mettra sous la dépendance de personnes de sexes différents. On a beau jouer, enfant, au papa et à la maman, on n’échappe pas, adulte, à la nécessité de reproduire réellement une humanité qui ne sera pas virtuelle.

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