Voilà un essai d’iconographie enthousiasmant.
L’auteur sait évidemment tout de son sujet, le célèbre tableau Les Époux Arnolfini de Jan van Eyck (1434), mais ne le révèle que progressivement, dans un exposé dont la clarté le dispute à l’ironie. Quelle est la question ? Que représente ce fameux tableau, tout simplement. Les Arnolfini, Jan van Eyck et sa femme ? Et s’agit-il d’une allégorie minutieuse de la vie chrétienne ? Une lecture féministe est-elle possible ? Oui, on peut toujours avoir une lecture féministe de n’importe quoi ; et elle est fausse, comme l’auteur le démontre en se jouant des théories à la mode. Le tableau passionne depuis des siècles : ce chapeau démesuré sur la tête de l’homme, qui n’est pas un Apollon, cette jeune femme qui ressemble aux Vierges idéales, cette chambre où chaque objet peut être chargé de symbole, ainsi que l’analyse Panofsky en 1934 – ou pas, comme l’analysèrent ses contradicteurs. Deux tribus se constituent et se haïssent, les arnolfistes et les eyckiens, et se battent à coups d’archives sur les échanges marchands dans les Flandres au XVe et d’analyse passionnée des rites de fiançailles médiévales en scrutant les miniatures d’un Décaméron du XIVe. Anne-Marie Lecoq expose tous ses devanciers, dresse les fragiles édifices de leurs théories, les détruit en une phrase bien placée et relance l’enquête : que se reflète-t-il dans le miroir bombé entre les deux époux : témoins d’un acte civil, visiteurs, le peintre lui-même ? Pieter T.A. Swillens a démontré dans les années 50 que ça ne peut pas être le peintre avec un plan et une coupe transversale de la chambre des Arnolfini, si ce sont bien eux. L’auteur reproduit le dessin, on est convaincu, on ricane avec elle de ceux qui s’acharnent à ne pas considérer les plans en coupe. Je ne vous parle pas des détails de la cathèdre et de la patenôtre, des implacables raisonnements logiques qui détruisent les constructions poétiques mais fausses des devanciers de l’auteur, ni de sa révélation finale, qui laisse coi.
Anne-Marie Lecoq, Le Passage de Jan van Eyck. Klincksieck, 2025, 224 p., 25,90 €

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