La gauche veut forger une génération vertueuse, c’est-à-dire sans tabac, qui est de droite ; mais elle aura droit au cannabis, qui est de gauche ; et il n’y aura pas de trafic car l’être humain est bon. Cette « liberté positive » est riche de tentations totalitaires.
Nicolas Thierry, député vert de la Gironde, vient de déposer un projet de loi visant l’interdiction à compter du 1er janvier 2032 du tabac à toutes les personnes nées après 2014, même majeures. Ce parlementaire compte ainsi permettre l’arrivée d’une génération sans tabac qui, en se pérennisant, mettrait un terme définitif à la consommation, et, par voie de conséquence, à la production et au commerce de ce produit addictif. Bien entendu, la Ligue contre le cancer et toutes les « assoces » anti-tabac et écolos ont fait chorus et approuvé cette initiative. Une initiative tellement en phase avec le politiquement correct, le conformisme moral et la doxa idéologique de notre temps qu’elle a recueilli l’assentiment non seulement de toute la gauche, mais de toute la macronie, du centre et de certains parlementaires et autres notabilités de droite. Dès que cette proposition a été connue, il n’a été question, dans nos médias, que de la nécessité d’« éradiquer » le tabagisme, d’en finir avec ce « poison qui tue » et qui obère les finances de notre système de soins, déjà bien malade. Et on a rappelé qu’un projet de loi en tous points analogue à celui de M. Thierry avait été déposé depuis déjà un certain temps à la Chambre des Communes du Royaume-Uni, où il devrait être prochainement examiné… d’un œil particulièrement favorable. On a un peu moins rappelé qu’une loi d’interdiction par paliers de la production, de la vente et de la consommation de tabac avait été votée en 2022, puis abrogée un an plus tard sous la pression des cigarettiers (on insiste sur ce point)… et de l’opinion publique (ce sur quoi on est un peu moins disert).
M. Thierry a pensé à tout
Nul ne semble avoir songé au possible – et même certain – développement des marchés clandestins et illégaux (et, par là même particulièrement dangereux) du tabac que cette mesure, si elle devenait loi, ne manquerait pas de provoquer, comme ce fut le cas aux États-Unis, où la totale interdiction de production, de commerce et de consommation d’alcool (de janvier 1920 à octobre 1933) fit la fortune des organisations de gangsters, lesquelles se firent un plaisir de fournir une clientèle désireuse de s’alcooliser et de ne pas se contenter de s’abreuver d’eau, de lait et de jus de fruits.
Mais M. Thierry est un malin. Il a prévu ce risque. C’est bien pour le conjurer que, plutôt que de se prononcer pour une interdiction immédiate du tabac, il préconise une interdiction intervenant en 2032 et applicable uniquement aux personnes devenant majeures cette année-là, et donc nées après 2014. Ces personnes, qui n’auront déjà pas eu accès au tabac durant leur minorité (puisqu’il est interdit de vendre du tabac aux mineurs), ne pourront pas davantage s’en procurer par la suite, et inclineront donc le plus naturellement du monde à s’en passer, sans même connaître la tentation d’y goûter. Ils deviendront ainsi la première génération de citoyens à ignorer le tabac, et communiqueront leur exemple aux générations ultérieures. Les fumeurs nés avant 2014 pourront persister dans leur vice, mais ils se heurteront à la difficulté de s’approvisionner puisque, du fait de la nouvelle loi, les bureaux de tabac se raréfieront de beaucoup ; et, de toute manière, ils ne seront pas suivis par les jeunes.
Un projet de loin d’inspiration idéologique et gauchiste
Une telle idée est de celles qu’on qualifie souvent de « séduisantes » ; c’est-à-dire que leur inefficacité (découlant du manque de lucidité de leurs auteurs) apparaît dès qu’on les applique au réel. M. Thierry croit-il vraiment que les jeunes accédant à la majorité en 2032 ne connaîtront jamais la tentation du tabac (ou d’autres chose) au motif qu’ils n’auront pu s’y adonner pendant leur minorité ? Si tel est les cas, il est d’une naïveté désarmante. L’interdiction de la consommation de drogue, aux majeurs comme aux mineurs, n’empêche aucunement nombre de jeunes et d’adultes d’y succomber et de devenir les clients de trafiquants organisés contre lesquels il est difficile de lutter. La brigade de stups en sait quelque chose. Intelligent comme il l’est, M. Thierry a sûrement pensé à cela. Le problème de la drogue ne lui est pas inconnu, et il a ses idées en la matière. Ne préconise-t-il pas la légalisation de la production, de la vente et de la consommation de cannabis, cette drogue « douce » susceptible d’engendrer une dépendance psychologique et des troubles psychotiques ? Mais voilà, le cannabis a été une drogue très appréciée des gauchistes, des hippies et des écolos des années 1960, 1970 et même suivantes, alors que le tabac est le symbole d’une industrie et d’un commerce aux mains de grands capitalistes prospérant sur la ruine de la santé publique. Autrement dit, la drogue douce est plus compatible avec le gauchisme, la gauche en général et l’écologie militante que le tabac vendu par des milliardaires sans scrupules. Et si on insiste sur les dégâts environnementaux liés au tabac, on ferme les yeux sur ceux découlant de la drogue. M. Thierry, en tant qu’écolo politique relève du gauchisme (d’où procède historiquement toute l’écologie politique) et de la gauche, à laquelle les Verts appartiennent.
L’annonce d’un totalitarisme vert
En vérité, M. Thierry, les écolos et toute la gauche, se réclament d’une vision idéologique du monde visant à l’avènement d’un Brave New World selon leur idéal. Soit la réalisation d’une utopie fondée sur un conditionnement complet de l’individu, dont la liberté se ramène à l’adéquation de sa personnalité, de ses sentiments, de ses inclinations et de ses idées à l’adéquation au type de société et de civilisation procédant de cet idéal. « La liberté ne peut consister qu’à pouvoir faire ce que l’on doit vouloir, et à n’être point contraint de faire ce que l’on ne doit pas vouloir ». Belle expression de la conception totalitaire de la liberté, même si elle est de Montesquieu (De l’Esprit des Lois, XI,3), et qui s’applique merveilleusement à nos écolos, à notre gauche et à tous ceux qui en suivent ou en promeuvent les idées, autrement dit nos médias, notre intelligentsia et nombre de Français de base formatés par notre École. Les Français doivent vouloir ne pas fumer, et ils ne doivent surtout pas vouloir le contraire. On prendra donc toutes les mesures possibles non seulement pour les empêcher de fumer, mais pour qu’ils n’aient pas la moindre envie de le faire.
Et ce n’est qu’un début. Par la suite, on les empêchera de consommer de l’alcool sans qu’ils aient lieu de se plaindre puisqu’il existe des boissons non alcoolisées ayant le goût de l’alcool. Et on les empêchera, enfin, de consommer de la chair animale, invitant les viandards nostalgiques à se rassasier soit de steaks ou autres produits végétaux de consommation ayant le goût de la viande, soit de viande non prélevée sur des bêtes, mais produite en laboratoire à partir de cellules animales (en cela, on sera assez proche de la bouffe Tricatel du film L’aile ou la cuisse). Les Français feront donc ce qu’ils devront vouloir et éviteront de faire ce qu’ils ne devront pas vouloir. Ainsi, selon le philosophe écologiste Dominique Bourg, la « liberté positive », conforme au seul intérêt général se substituera à la « liberté négative », identifiée comme « la liberté de nuire », et donc égoïste et nuisible. Sous la houlette des Thierry, Bourg, Sandrine Rousseau et autres, les Français deviendront des parangons de vertu dans une société spartiate vegan, sans tabac ni alcool, avec bien entendu les droits des LGBTQUIA+, le droit à l’avortement et à la PMA, l’écriture inclusive, etc. Et une législation impitoyable à l’encontre des contrevenants… s’il en reste.
Eh bien non, M. Thierry, nous ne voulons pas de votre utopie écolo-gaucharde de cauchemar. Hélas, il est à craindre que le totalitarisme mou en lequel nous vivons et qui imbibe notre communauté et ses composants individuels en rendent inévitable l’avènement.
Illustration : Amélie de Montchalin présente l’opération Colbert III qui a mobilisé 14 000 agents de l’État pendant une semaine pour stopper le trafic de tabac. Les quantités saisies sont 4,5 fois plus importantes que deux ans auparavant. On sent à quel point tout ceci est un succès.
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