Civilisation
Le grand renoncement
Un nouveau roman, prenant la forme du roman policier, sur l’effondrement de notre pays face à une crise majeure ?
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Cette biographie que Philippe Hemsen consacre à Jean Raspail qu’il a bien connu dans la deuxième partie de sa vie, a le double intérêt de raconter enfin chronologiquement ce que fut la vie réelle de cet auteur pudique et volontiers mystérieux, et de montrer en même temps et progressivement comment le personnage de Raspail, celui qui construit et habite ses fictions au point de s’y assimiler, se façonne peu à peu pour devenir cette légende de l’« aventurier de l’ailleurs » comme l’indique fort justement le sous-titre de l’ouvrage.
C’est remarquable, comme le signale la préface d’Erik Orsenna. Remarquable de clarté et de simple vérité, là où Jean Raspail laissait, volontairement ou non, planer l’incertitude ou le doute, l’imprécision aidant la fiction à naître ; remarquable aussi par l’analyse psychologique qui explique les humeurs, les retournements, les décisions aux allures quelquefois erratiques du personnage principal qu’est Jean Raspail lui-même et qui sait fort bien qu’il n’est ni un saint, ni un héros, ni un être exceptionnel ; mais aussi bien et tout autant analyse psychologique qui perce le mystère des êtres plus ou moins irréels qui peuplent progressivement l’imaginaire de Raspail, peuplades perdues, humanité en disparition, puis créatures de rêve, enfin derniers types de représentations de ce qui reste de meilleur et de plus pur, voire de plus achevé dans la triste destinée de la banale vie terrestre ordinaire qui s’écoule vers l’universel amalgame de la médiocrité.
Philippe Hemsen est professeur de lettres et incontestablement il tient son sujet. Après ses expériences de jeunesse et de voyage qui lui ont révélé les traces perdues de l’humanité, Raspail va insensiblement s’avancer dans la quête d’un ailleurs ; et de cet ailleurs, médité et pensé comme tel ainsi que le montre Hemsen, de livres en livres, émerge un univers de plus en plus spécifique, proprement raspaillien, depuis Le Camp des saints dont l’auteur fait une étude fouillée, transposition apocalyptique d’un désarroi non élucidé, jusqu’à Sire, L’anneau du pêcheur, Le Roi au-delà de la mer, pour ne citer que les plus connus de ses romans. Tous étonnamment relèvent de la même impossible gageure d’une réconciliation de l’humanité avec elle-même, au-delà des horizons connus, bien au-delà des brumes d’ici-bas dont il faut sortir par de longues cavalcades. Miséricorde et Petits éloges de l’ailleurs, préfacés par Philippe Hemsen, donnent un point final, psychologique, religieux et politique, à cette aventure dont le but reste insaisissable par définition et toujours prodigieusement attirant. Et, pourtant, je puis dire, comme témoin direct de conversations singulières tout à fait personnelles, en particulier sur la fin de sa vie, que Jean Raspail était bien royaliste, pas simplement par nostalgie en souvenir du 21 janvier 1793, pas simplement en fiction, mais en réalité et même en désespoir de réalité et en amour indicible de la France.

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