Un représentant éminent de l’écologie en Roumanie. Rien ne semblait destiné Călin Georgescu à incarner l’extrême-droite roumaine.
Né à Bucarest le 26 mars 1962, il est le fils d’un ingénieur agronome et officier de cavalerie et d’une secrétaire au ministère de l’Agriculture, sous le régime communiste. Comme son père, il suit une formation d’ingénieur agronome à l’université des sciences agronomiques et de médecine vétérinaire de Bucarest, d’où il sort diplômé en 1986. Son vif intérêt pour les questions environnementales l’amène à devenir chef du bureau de l’Environnement du Parlement de Roumanie en 1991, puis conseiller de Marcian Blelahu, ministre de l’Environnement du gouvernement Stolojan (octobre 1990-novembre 1991). Il joue alors un rôle important dans l’élaboration de la législation en ce domaine. Il semble promis à devenir un écologiste militant, d’autant plus qu’il dirige ensuite l’ONG écologiste Tineretului Ecologist din România (TER) de 1993 à 1996. Il est secrétaire général du ministère de l’Environnement de 1997 à 1999. De 2000 à 2013, il exerce les fonctions de directeur du Centre national pour le développement durable, agence d’État chargée d’appliquer les directives de l’Union Européenne en Roumanie. Il sera par la suite conseiller du Club de Rome, Délégué de son pays au Programme environnemental de l’ONU de 1999 à 2012, puis directeur exécutif de l’Institut de l’Indice mondial de Durabilité de l’ONU. Docteur en pédologie en 1999, il devient, en dehors de ses hautes fonctions internationales, enseignant-chercheur à l’université de Bucarest en 1999, puis à l’Institut polytechnique de cette ville à partir de 2021.
Une personnalité politique estimée et populaire
Il jouit alors d’une aura considérable, au point de devenir une des personnalités les plus respectées de son pays. Son autorité en écologie et dans les rapports entre l’économie et l’environnement lui vaut la déférence de la classe politique. Son crédit est tel que beaucoup le verraient jouer un rôle politique au plus haut niveau. D’aucuns voient en lui un possible Premier ministre. Lorsque, en 2011-2012, la coalition qui soutient le gouvernement d’Emil Boc se fissure, il est pressenti à deux reprises pour cette fonction par les dirigeants du parti démocrate-libéral (de tendance démocrate-chrétienne et centriste), dont il se sent proche en même temps que du parti écologiste roumain. Il se récuse cependant. Ses partisans le solliciteront à nouveau en 2020 et 2021. Beaucoup voient en lui la promesse d’un renouveau politique axé sur l’attachement à la résolution des problèmes cruciaux du pays dans une perspective humaniste rompant avec les combinaisons politiciennes. Il ne fait alors nullement figure, très loin de là, de représentant de quelque extrême-droite identitaire et non-démocratique. Il apparaît comme une grande conscience et un homme compétent et dévoué au bien public représentant une chance pour son pays ainsi que pour l’Europe et la politique écologique de celle-ci et de l’ONU.
Le virage nationaliste
Les choses vont pourtant changer à partir de 2020. Les partis hésitent à porter au pouvoir cet homme, qui n’est pas des leurs. Simultanément, la droite nationaliste cherche à se reconstituer comme force politique. Le Parti de la Grande Roumanie (PRM) connaît un déclin continu depuis le décès de son chef, Vadim Tudor, 2015, et ne se trouve plus de leader charismatique. Le Parti de la Nouvelle Génération-Chrétien démocrate (PNG-CD), fondé en 2000, pâtit de la violence et du fanatisme religieux de son fondateur, George Begali. Georgescu, de son côté, prend ses distances avec la classe politique qui gouverne le pays, convaincu qu’il ne l’amènera pas à adopter son réformisme écologique, très différent des orientations européistes et économiquement libérales qu’elle défend. Il se rapproche des nationalistes de tous bords, lesquels voient en lui un porte-parole crédible. Sans modifier ses idées antérieures en matière écologique et économique, Georgescu, après 2019, leur donne une coloration droitière singulièrement non-conformiste, qui trouble les esprits. En 2020, il critique les mesures prises par les gouvernements de la Roumanie et des pays ouest-européens pour enrayer la pandémie de Covid 19. Niant leur efficacité, il les dit inspirées par un projet mondial de contrôle policier et idéologique des populations, ce qui le classe comme complotiste et conspirationniste. Par ailleurs, il accuse les pays occidentaux de mettre au pillage les ressources roumaines. Son discours écolo-économique de naguère revêt de plus en plus un caractère régressif, sinon réactionnaire. Et son programme d’aide aux petits entrepreneurs se fait « poujadiste ». Georgescu prend un virage nationaliste, confirmé lorsqu’il réhabilite verbalement Codreanu et Antonescu, et défend la morale religieuse traditionaliste de l’Église orthodoxe. Désormais, il se présente comme une figure de l’extrême droite, bien qu’il n’adhère à aucun parti.
Le candidat nationaliste invalidé et réprouvé
Lors du premier tour de l’élection présidentielle de 2024, à laquelle il se présente en tant que candidat indépendant, il arrive en tête de la compétition, avec le score de 22,94 % des voix, le 24 novembre. La Cour Constitutionnelle roumaine invalidera sa candidature, puis la totalité de l’élection, reportée au printemps 2025. Diverses irrégularités et une ingérence russe seront invoquées. La commission électorale ayant rejeté sa candidature pour la présidentielle de 2025, Georgescu se rallie à celle de George Simion, chef de l’Alliance pour l’Unité des Romains (AUR). À l’issue du premier tour (4 mai), Simion arrivera largement en tête, avec 40,96 % des voix, contre 20,99 % au candidat centriste libéral et europhile Nicosur Dan. Mais, faute de réserves disponibles, il sera battu au second tour, le 18 mai : 46,40 % contre 53,60 pour Dan.
Il existe bien des différences entre Călin Georgescu, écologiste, traditionaliste, quelque peu ruraliste, dirigiste et méfiant à l’égard du grand capitalisme, pro-russe en politique étrangère, hostile à l’OTAN et à l’Union européenne (dont il estime qu’elle a phagocyté la Roumanie et lui a fait perdre toute indépendance réelle), et George Simion, économiquement ultralibéral, admirateur éperdu de Trump et peu sensible aux questions environnementales. Mais Simion connaît cependant trop bien son peuple pour ne pas discerner la grande difficulté d’une conversion de ses compatriotes, latins, orthodoxes et spiritualistes, à la doxa néolibérale. Il a conscience de la nécessité d’acclimater celle-ci à la mentalité roumaine, qui y est, de prime abord, étrangère, sinon hostile. Aussi maintient-il ses relations avec Georgescu qui, malgré ses ennuis judiciaires (il est poursuivi pour déclarations mensongères relatives à ses comptes de campagne, et éloges de crimes de guerre) est encore perçu par de nombreux électeurs comme le véritable défenseur des intérêts du peuple roumain. Il pourrait néanmoins pâtir de ses positions favorables à la Russie, en un temps où Vladimir Poutine ne dissimule pas ses appétits territoriaux et sa volonté d’étendre son influence politique en Europe orientale, y compris en Roumanie.
Illustration : George Simion et Călin Georgescu.
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