François Bayrou a mis en cause assez brutalement les boomers le 28 août dernier : « Qu’une génération ne pense pas à la génération suivante, qu’elle lui impose, sans le lui dire, la charge d’avoir à payer pendant des décennies, des facilités que nous avons rencontrées aujourd’hui, ce n’est pas normal ». Et il a ajouté : « Il y a une deuxième catégorie de population victime, et c’est insupportable, ce sont les plus jeunes. Nous sommes en train d’accepter qu’ils soient réduits en esclavage en les obligeant, pour des décennies, à rembourser les emprunts qui ont été décidés, le cœur léger, par les générations précédentes ».
D’où une polémique générale partant dans tous les sens, comme toujours à notre époque. Mettons à part le sieur Bayrou et regardons de plus près : qu’y a-t-il de vrai et de faux dans cette accusation ?
Des motifs réels de mise en cause
Il y a bien des arguments pour accuser les boomers. Les boomers, c’est en gros la génération née entre 1945 et 1965, époque de natalité relativement forte. Ils ont passé leur vie active, pour faire large, de 1970-75 à ce jour. Une période différente de ce qu’on a appelé les Trente Glorieuses (1945-1975), avec laquelle on la confond souvent ; celle-ci a été une période de reconstruction et de croissance forte, à faible endettement, c’est celle du nucléaire et du TGV. Mais où les boomers n’étaient pas aux commandes, voire encore à l’école.
Sur le plan économique, la période d’activité des boomers, à partir de 1975, a été aussi celle d’un dérapage progressif : des déficits permanents et un endettement continu, essentiellement dus au financement insuffisant de dépenses courantes, avec parfois l’alibi de crises. Ce fut aussi un période de décisions politiques délirantes : la retraite à 60 ans, les nationalisations, les 35 heures, etc.
Un peu moins favorisée dans son emploi et ses perspectives que la période précédente, celle des boomers a été dans l’ensemble plus faste que celle qui la suit. Cette génération a eu sans doute une charge de travail supérieure – mais elle a moins cotisé. Son niveau de vie a été favorisé par l’absence de vraies mesures de redressement. Et elle touche sa retraite au moment où, comparé aux actifs, le niveau en est particulièrement élevé. Enfin, un nombre appréciable de ses membres a pu se constituer un patrimoine conséquent.
On voit donc bien comment peut se bâtir un réquisitoire : grâce à une lente dérive jamais corrigée, on leur a financé par la dette une vie et une fin de vie confortables, sans qu’ils aient à payer cette dette à l’avenir.
On pourrait ajouter à cela la responsabilité centrale de cette génération dans la mutation anthropologique de la fin des années 60, symbolisée par 1968 : la jeunesse de l’époque, ce sont les boomers. On ne construit plus, on revendique et on jouit. Et le niveau éducatif s’effondre. Pourtant ce n’est pas si simple.
Objections et débats
Il est facile d’objecter déjà que ce tableau est trop globalisant. Ce qu’on appelle génération est loin d’être homogène, et il faudrait une analyse bien plus fine pour réellement comparer les itinéraires de vie et de carrière des uns et des autres, comparés avec la situation actuelle. Il y a évidemment des boomers qui vivent mal et ne sont en rien des privilégiés. La réponse que donnent cependant le plus souvent les boomers est : ce n’est pas nous, ce sont les gouvernements qui ont fait n’importe quoi. En soi, il est vrai que les gouvernements de cette longue période ont été globalement mauvais et irresponsables, qu’ils soient étiquetés à gauche ou à droite. Il est néanmoins facile de mettre toute la responsabilité sur ces dirigeants seuls. Outre qu’ils ont été élus par quelqu’un, ils ont eu à gérer une situation qui était fonction de l’état de l’opinion. Et les boomers n’ont jamais été majoritaires dans l’électorat. Il suffit de rappeler les aléas des réformes successives des retraites, à commencer par celle de Juppé en 1995, pour mesurer les obstacles.
Plus généralement, dans tous ces processus les boomers n’ont pas été seuls. Il n’y a pas eu une génération qui a dérapé, suivie par une prise de conscience chez celles qui ont suivi. La France active d’aujourd’hui, désormais sans boomers, n’est pas plus gérable qu’avant. Et les générations actuelles ne paraissent pas avoir renié tous les errements de celle d’avant, tant s’en faut. Si donc les boomers ont plus largement profité dans leur ensemble de ces 50 années et restent plutôt avantagés, la responsabilité de la dérive collective est largement partagée. Dès lors, en pratique, faire le procès global de toute une génération n’a pas beaucoup de sens et risque de ne pas mener très loin. On le voit mieux en évoquant les questions concrètes qui se posent.
Qu’en déduire aujourd’hui ?
On l’a dit, deux questions majeures se posent aujourd’hui au niveau collectif : les retraites et la dette. On pourrait évoquer aussi les patrimoines, mais si c’est en termes d’inégalités, cela dépasse et de beaucoup les seuls boomers. Ceux-ci ne sont directement en cause que sous l’angle de l’héritage, qui est plus microéconomique que global : il faudrait certainement faciliter les transmissions aux générations suivantes, mais cela ne changerait pas radicalement la situation d’ensemble.
S’agissant des retraites, la question cruciale est : quel est le niveau de retraites qui serait à la fois désirable et soutenable ? Jusqu’ici, seule l’Agirc-Arrco a trouvé un équilibre. Pour le reste, bien au-delà des boomers, il y a eu et il reste un consensus général pour réformer au minimum, et donc pas assez. Sans évoquer tout ce sujet complexe, il est manifeste que le niveau actuel de la plupart des retraites doit être ajusté (les plus faibles mises à part), notamment en jouant sur l’inflation ; les curseurs d’âge doivent être déplacés, les privilèges d’une partie du secteur public au sens large éliminés. En outre, il faut revoir certains traitements fiscaux comme l’abattement de 10 % au titre de l’impôt sur le revenu ou les différences entre actifs et retraités pour la CSG. Sur tous ces points, les boomers sont les premiers intéressés, puisqu’ils ont désormais l’âge de la retraite ; mais il s’agit de mettre en place un système équitable, pas de les cibler comme tels.
La dette est une autre question, plus complexe. Même si elle n’a pas techniquement à être remboursée comme pour un particulier, elle pèse lourdement et pèsera encore plus à l’avenir : ce sont les intérêts dus, c’est le besoin de trouver chaque année des refinancements, c’est le fait qu’elle rend très difficiles de nouveaux investissements. Sans parler du risque de crise, qui est élevé. Il est de fait qu’elle a été contractée à une époque où les boomers étaient actifs. Mais, de nouveau, ils n’étaient pas les seuls, loin de là. Elle est notamment aujourd’hui plus du triple de ce qu’elle était en 2000 ; or pendant la période en cause, 2000-2025, les boomers étaient minoritaires et n’avaient en général pas de traitement particulier. L’exception, ce sont les retraités, puisque c’est eux qui profitent d’un système, même si tous l’ont voulu ; raison de plus pour agir sur ce point. Mais cela ne traitera qu’une partie de la question. En réalité, c’est toute la communauté nationale qui doit fournir un effort pour ne pas laisser ce fardeau aux générations futures.
Distinguons donc deux questions : le jugement historique que l’on peut porter sur une période de l’histoire d’un côté, et de l’autre les mesures concrètes à prendre. Celles-ci sont urgentes et concernent tous, même si les boomers sont plus impactés. Et donc, aborder le sujet sous l’angle d’un conflit de générations n’est pas la bonne méthode : l’urgence, c’est de retrouver dès que possible les conditions d’un équilibre juste et durable, y compris sur les retraites.
Illustration : « En vérité, je vous le dis : tout est de la faute des vieux, moi excepté. »
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