Un entretien avec Arnaud Guyot-Jeannin.
Le bloc centriste, l’extrême centre auquel collabore LR, paraît redessiner les frontières de la droite. Qu’en pensez-vous ?
Arnaud Guyot-Jeannin : Il s’agit d’une fausse droite acquise à la bourgeoisie libérale, c’est-à-dire aux forces de l’argent et du marché prédateur. Quant à la gauche bourgeoise issue des Lumières, dont le mythe fondateur culmine le 21 janvier 1793, celle-ci prend le pouvoir au nom de l’humanisme par le moyen de la Terreur chère à Barère de Vieuzac, « l’Anacréon de la guillotine ». Or la droite originelle, traditionaliste et contrerévolutionnaire a toujours conspué la ploutocratie, qui a contribué à faire couper la tête du roi et la remplacer par « la femme sans tête », pour reprendre l’expression de Charles Maurras, la république jacobine. C’est la droite bourgeoise orléaniste qui s’est alliée à la gauche progressiste et totalitaire en 1789. Si cette droite libérale gouverne donc, elle conduira la France à enfourcher le cheval du capitalisme mondialisé et de l’immigration illimitée dans une logique quantitative et rentable. Deux facteurs de déracinement et de tentative de substitution du peuple français par un sans-frontiérisme que cette droite libérale dit rejeter par ailleurs au nom de l’unicité du genre humain chère à Pie XI, mais qu’elle encourage et ratifie une fois au pouvoir, sous Nicolas Sarkozy notamment, lequel était, en 2007, son champion incontesté. Sa formule historique, « Travailler plus pour gagner plus », singeait celle de l’homo economicus et de l’homo laborans recoupant le modèle utilitariste de la modernité dominante. Cette formule sarkoziste prépare le terrain à Emmanuel Macron qui veut supprimer les jours fériés carillonnés dans l’année. « Travailler plus pour gagner autant » n’est donc qu’un préalable dans une course à la productivité, à la consommation et au profit. Or l’homme n’est pas un taux de change.
Que pensez-vous de la position de B. Retailleau ?
A.G.J : Concernant Bruno Retailleau, celui-ci n’a rien fait de concret en matière d’immigration et d’insécurité comme ministre de l’Intérieur. Il s’est contenté d’être le ministre de la parole de Macron. Libéral-conservateur assumé, il admire surtout les économistes ultra-libéraux ou libertariens comme Frédéric von Hayek et Frédéric Bastiat ainsi qu’a pu le confier Pascal Gannat, un ami à lui passé par le Front National. Dans l’hebdomadaire Marianne du 28 mai dernier, à propos de Marine Le Pen, il affirme sans ambages, face à celle qui a représenté les classes populaires et moyennes déclassées aux dernières élections présidentielles, qu’« il faut se garder du gros rouge qui tache » : Retailleau a plus que du mépris pour le peuple. Il ne le supporte pas.
Si les Français paraissent être régulièrement “de droite”, à en croire les sondages, le sont-ils vraiment : est-ce “de droite ”de souhaiter moins d’État, une meilleure répartition des richesses, l’affirmation d’une identité française ?
A.G.J : Oui, la France est majoritairement de droite et plus sûrement encore à droite. Elle ne souhaite pas « moins d’État » mais « mieux d’État » dans tous les domaines : cela s’appelle aussi « l’État stratège ». Elle est favorable aussi à une distribution plus équitable des richesses. Et elle défend l’identité française et européenne contre la technostructure bruxelloise qui se met au service d’une mondialisation financière meurtrière et d’une immigration extra-européenne pléthorique constituant justement l’armée de réserve du Capital.
Le mal français, qui empêche que le pays soit gouverné pour le plus grand bien de ses habitants, est-il d’abord institutionnel, d’abord culturel, d’abord ethnique ? Et comment faire en sorte que les principes de droite finissent par s’incarner dans notre société, prennent corps dans les villes et les campagnes ?
A.G.J : Le mal français est tout à la fois spirituel, identitaire, social et institutionnel. Il entraîne un matérialisme amnésique et cancérigène qui s’étend à l’ensemble de la société. « La crise est dans l’homme » écrivait Thierry Maulnier dans les années 30. Cela n’a pas complètement changé, mais le mal français s’est répandu intensément et durablement. La seule alternative anthropologique serait de retrouver le Bien commun reposant sur la souveraineté de la personne et de ses communautés d’appartenance : la famille, la paroisse, les patries charnelles, le métier humanisé. Il faut donc redécouvrir ce que représentent des traditions chrétiennes, aristocratiques et populaires de la France. Dans tout Bien commun, il y a d’abord le commun. Celui-ci renvoie à la communauté ! À partir de cette seule réalité organique peuvent s’épanouir des personnes reliées à des cadres de réappropriation commune alternative au déchaînement de l’individualisme expropriateur de l’âme, de l’esprit et du corps de nos peuples. Réhabiliter la justice commutative est primordiale. Il est détestable de voir la droite libérale d’aujourd’hui se méfier euphémiquement du social et de son modèle hérité du Conseil national de la Résistance, inspiré notamment des catholiques sociaux tels que René de la Tour du Pin et Albert de Mun. Nous devons redécouvrir la droite intégrale pour orienter le pays selon la bonne direction.
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